Immergés du matin au soir dans des calculs sur le réchauffement, les experts du climat oscillent entre enthousiasme pour un domaine foisonnant et angoisse face aux résultats de leurs recherches, avec une hantise commune: ne pas réussir à transmettre leur «sens de l'urgence».

«Les implications de mes travaux m'empêchent parfois de dormir», reconnaît Katherine Richardson, de l'université de Copenhague, où viennent de se rassembler 2.000 chercheurs du monde entier.

Le constat fait l'objet d'un très large consensus: un réchauffement de la planète d'autant plus périlleux que «la stabilité du climat a été un des moteurs du développement de nos civilisations depuis 10.000 ans», rappelle le climatologue français Jean Jouzel.

Mais les réactions personnelles sont moins uniformes.

«La science est excitante quand vous faites des découvertes importantes. Mais lorsque vous regardez ce qui se profile pour l'humanité, cela fait plutôt peur», explique Konrad Steffen, directeur de l'Institut de recherche sur les sciences de l'environnement (CIRES), basé à Boulder (Colorado).

Au-delà du constat purement scientifique, la lenteur des réactions face au caractère de plus en plus alarmant des travaux publiés inquiète.

«Peut-être que la société a réalisé la gravité du sujet mais elle n'a certainement pas réalisé l'urgence», juge l'Australien John Church, qui travaille sur la montée des océans.

Le glaciologue français Claude Lorius, dont les travaux ont fait la Une du magazine Nature en 1987, ne cache pas un pessimisme profond.

«Au début, je pensais qu'on allait convaincre, qu'on allait y arriver. Mais il y a une inertie considérable», explique-t-il. «C'est le comportement de la société, de l'homme, qui n'est pas à la hauteur pour répondre à une crise comme celle là».

Nombre de scientifiques interrogés par l'AFP résistent cependant à la tentation d'une vision trop sombre.

«Même si vous êtes pessimiste - et je le suis parfois - cela ne sert à rien. Si vous suivez cette voie, qu'allez-vous faire, vous couper les mains ?», dit John Church, convaincu que son rôle consiste, inlassablement, à «rendre la science plus solide, plus convaincante».

En outre, soulignent certains, une posture trop alarmiste peut avoir des effets pervers.

«Ce qui m'inquiète le plus, c'est que les gens soient dépassés, psychologiquement, par l'énormité du problème et qu'ils choisissent de ne rien faire», concède William Howard, de l'Université de Tasmanie.

«Il y a un risque de faire la politique de l'autruche et de passer du camp du déni à celui du désespoir», note Johan Rockstrom, qui dirige l'Institut de l'environnement de Stockholm.

Tous les chercheurs ne partagent pas, loin s'en faut, la vision très noire du Britannique James Lovelock, monstre sacré, selon lequel les efforts en cours pour réduire les émissions de gaz à effet de serre sont vains et la seule issue est le recours à la «géo-ingénierie» pour manipuler le climat.

«C'est faux qu'on ne peut rien faire d'autre!», tempête Jean Jouzel. «Il faut une véritable volonté! Je ne sais pas si on a cette volonté, mais il ne faut pas dire que c'est impossible!»

Pour lutter contre l'angoisse qui le saisit lorsqu'il pense à la planète sur laquelle vivront ses petits-enfants, l'Américain James Hansen, figure emblématique de la climatologie, a opté pour une posture plus militante.

«Les politiques sont contents lorsque les scientifiques livrent l'information, s'en vont et la ferment. Mais il ne peut pas y avoir de divorce entre la science et la politique».