Il y a 20 ans aujourd'hui, le monde était témoin de l'un des plus importants désastres environnementaux de son histoire. Le désormais célèbre Exxon Valdez vomissait alors 40 millions de litres de pétrole brut dans les eaux glacées du golfe de l'Alaska.

Les années ont passé, les poissons ont frayé, des armées de travailleurs ont besogné et pourtant, encore aujourd'hui, le pétrole hypothèque toujours lourdement le fragile écosystème du détroit du Prince William.

L'absence d'un plan d'urgence doublée d'une forte houle, quelques jours après la terrible marée noire, a en effet transporté le brut sur des centaines et des centaines de kilomètres de côte, souillant plages, rochers, îlots et échancrures sur son passage.

«Vous avez de la chance, lançait le porte-parole d'Exxon aux citoyens consternés, quelques jours après l'accident. Vous avez affaire à Exxon, et Exxon agit correctement.»

Quelque 10 000 travailleurs ont beau avoir été mobilisés pour nettoyer les berges depuis, quelque 98 000 litres de pétrole sont toujours présents dans l'environnement, selon la plus récente analyse du National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA).

«C'est bien peu considérant les quantités déversées, souligne le bras scientifique du gouvernement américain. Par contre, on retrouve encore des vestiges huileux de l'échouement sur certaines plages. Et certains endroits sont encore suffisamment contaminés pour inquiéter les résidants et les responsables de la restauration des lieux.»

Le problème, ajoute-t-on, c'est que les hydrocarbures bien enfouis dans les sédiments disparaissent à très petite vitesse: à peine 4% sont éliminés annuellement. Ce qui signifie qu'il faudra encore de nombreuses décennies avant que le tout ne retourne à un semblant de normalité.

Héritage

Cela dit, l'impact le plus important de l'échouement de l'Exxon Valdez est à la fois plus insidieux et plus grave, constate-t-on en visionnant le documentaire québécois Marée noire: l'héritage de l'Exxon Valdez, qui sera diffusé ce soir à 20h, sur RDI.

On y suit une communauté qui, en une nuit, a vu sa principale ressource disparaître d'un coup. Si le public a été secoué par ces images d'oiseaux englués, les citoyens de Cordova, principale municipalité touchée par le naufrage, ont été encore plus durement frappés par l'effondrement de la pêche, leur principale industrie.

Le documentaire de Robert Cornellier et Paul Carvalho s'attarde, par exemple, à l'histoire de Sam et Linden O'Toole, qui montre bien l'impact qu'a eu le naufrage sur le quotidien des gens. Ayant travaillé fort pour obtenir, en février 1989, un permis et un bateau qui leur permettraient de pratiquer la pêche commerciale, ils ont vu leurs investissements perdre toute leur valeur le mois suivant. Ils ont dû attendre une quinzaine d'années avant de reprendre la mer.

Plus encore, il y a eu le temps et l'énergie consacrés, pendant toutes ces années, à se battre en cour contre le géant Exxon. Ce dernier avait promis d'épuiser tous les recours juridiques possibles et imaginables, ce qu'il fit avec beaucoup de succès.

En juin dernier, la Cour suprême des États-Unis a en effet revu à la baisse les dommages punitifs imposés à la pétrolière. Fixés à 5 milliards de dollars en 1994, ils sont passés à 4 milliards, puis à 2,5 milliards pour atteindre finalement, l'an dernier, 507 millions US...

«Avant le déversement, Cordova était une municipalité très dynamique, avec un capital social immense, explique le sociologue Duane Gill. Aujourd'hui, c'est une municipalité usée. Prisonnière de l'interminable saga du déversement et des poursuites judiciaires.»

Des leçons

Mais à toute chose malheur est bon, dit-on. Tout cela a-t-il été bénéfique sur certains points?

Du côté législatif, oui, on peut dire que le naufrage de l'Exxon Valdez a eu des effets positifs. Les périodes de repos pour les membres d'équipage des cargos, par exemple, sont beaucoup mieux encadrées. Les navires, qui doivent aujourd'hui être dotés d'une double coque, sont plus résistants. Les scientifiques ont approfondi considérablement leurs connaissances sur les impacts des déversements.

Et l'industrie, est-elle mieux préparée à l'éventuel naufrage d'un pétrolier ? On croirait que oui, mais une enquête du World Wildlife Fund (WWF) dévoilée il y a quelques jours clame le contraire.

Intitulé «Les leçons non apprises», ce rapport énumère tout ce qui a été modifié et tout ce qui est demeuré inchangé en termes de préparation à une éventuelle marée noire. On applaudit ainsi l'adoption de l'Oil Pollution Act et le resserrement des normes de nettoyage. Mais on se désole surtout, en constatant que les cinq plus récents déversements pétroliers, survenus en 2006 et en 2007, ont été dévastateurs. «Si un tel déversement devait se reproduire, conclut-on, il serait tout aussi dévastateur aujourd'hui.»