Capter le CO2 des fumées de centrales ou d'usines avant de les enfouir sous terre ou sous la mer apparaît de plus en plus comme une stratégie pour lutter contre le réchauffement climatique, et fait déjà l'objet d'une bataille technologique entre les industriels.

Encore à un stade expérimental précoce, un déploiement commercial du captage de CO2 est plutôt envisagé pour 2020, mais «pour les industriels, l'intérêt est de se positionner dès maintenant face à leurs concurrents», explique François Kalaydjian, directeur des technologies de développement durable de l'Institut français du pétrole (IFP). Les annonces d'essais se multiplient mais les stratégies et investissements restent encore jalousement cachés. Le groupe français Alstom s'affirme en avance, avec 10 projets pilote, dont trois déjà lancés, et deux qui doivent l'être dans les prochains mois.

À Karlshamn, en Suède, des tubes en inox flamboyants, enfermés dans une enceinte blanche à l'extrémité d'une centrale d'appoint EON, captent depuis peu 90% du CO2 émis par une petite chaudière de 5 mégawatts.

Les cristaux blancs de carbone récupérés ne sont pas encore stockés, mais ce pilote permet à Alstom de tester à échelle très réduite sa technologie à l'ammoniaque refroidi.

Mais le Français est loin d'être le seul à prendre ses marques sur un secteur qui, dans 10 ans, pourrait devenir un marché lucratif: les autres constructeurs de centrales électriques, comme GE, Siemens ou Mitsubishi Heavy Industries, les groupes énergétiques Enel, EON ou Vattenfall, mais aussi les chimistes, comme Rhodia, Dow Chemical ou Air Liquide, s'impliquent dans différents projets.

ArcelorMittal prévoit également un test sur son usine de Florange (France) car pour être captées, les sources de CO2 doivent être stationnaires et importantes. Cela exclut les émissions des transports, mais rend le captage envisageable pour les centrales, les raffineries, les aciéries, les cimenteries ou les sites de pétrochimie.

Pour partager les risques et inciter les industriels à aller vite, des financements publics sont promis, une dizaine de milliards d'euros au total pour le moment, soit la moitié de la somme jugée nécessaire par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) pour les 20 grands démonstrateurs escomptés d'ici 2020.

L'Union européenne, qui vise une douzaine de démonstrateurs industriels d'ici 2015, est l'une des zones motrices dans ce domaine avec les États-Unis, l'Australie et le Canada, selon Tom Kerr de l'AIE.

«Il y a encore tout un éventail de solutions et de scénarios à tester», explique M. Kalaydjian, avec différents modes de captage, de transport (pipelines ou bateau) et de stockage (aquifères salins ou réserves pétrolières et gazières).

Les industriels sont aussi confrontés au défi de rendre leurs technologies moins coûteuses et moins gourmandes en énergie, car pour l'instant, elles ne réduiraient le rendement d'une centrale que d'environ un quart.

Vu l'ampleur des investissements nécessaires, «il faudra donner à ce marché de la visibilité à long terme», juge Philippe Joubert, président d'Alstom Power. Or les incertitudes restent grandes en termes de calendrier, d'encadrement juridique, de prix du carbone récupéré, mais aussi d'acceptation par l'opinion publique.

Pour les organisations environnementales, le captage et stockage de CO2 apparaît plutôt comme une fausse bonne idée. Trop gourmande en énergie, trop chère et trop risquée, cette stratégie est, d'après Greenpeace, surtout une excuse pour continuer à utiliser charbon, fioul et gaz.