Jamais la pression exercée sur l'industrie de l'amiante par les scientifiques et les organisations internationales n'a été aussi grande. Même le Parti libéral du Canada, jusqu'ici partisan de cette fibre, a choisi de lui tourner le dos. Le Canada et le Québec continuent néanmoins d'en faire la promotion. Des experts estiment que cela s'apparente à de la «négligence criminelle», passible d'accusations devant les tribunaux.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) ainsi que l'ensemble du monde occidental condamnent l'utilisation de l'amiante chrysotile. Et pourtant, le Canada en fait la promotion et le Québec prône une «utilisation accrue» de cette substance cancérigène, dénoncent un nombre croissant d'experts.

Pour certains d'entre eux, cela s'apparente même à de la «négligence criminelle» et pourrait donner lieu à des recours collectifs et à des poursuites contre des membres du Conseil des ministres, tant à Québec qu'à Ottawa.

«La situation ressemble à celle du sang contaminé dans les années 80, estime Pierre Gosselin, médecin affilié à l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), qui parle en son nom personnel. Des gens en situation de pouvoir, en toute connaissance de cause, font la promotion d'un produit cancérigène. Cela s'approche d'une situation de négligence criminelle.»

«S'il a pu y avoir un doute sur la dangerosité de l'amiante chrysotile il y a 20 ans, ajoute le Dr Gosselin, il n'en existe plus du tout aujourd'hui. Il n'y a en outre aucune preuve que cette substance est utilisée de façon sécuritaire.»

Pour être aussi catégorique, M. Gosselin s'appuie sur les plus récentes études de l'OMS et du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui concluent que l'amiante chrysotile est bel et bien cancérigène, mais aussi sur une analyse de la faculté de médecine de l'Université de Montréal.

Intitulé Surveillance de l'exposition à l'amiante dans les métiers de la construction, le document présenté à l'INSPQ en février 2008 relève plusieurs déficiences en ce qui concerne l'exposition à l'amiante dans l'industrie de la construction.

«Alors que les travailleurs doivent être suivis selon les normes, nous avons constaté que très peu de mesures d'exposition sont disponibles, notamment parce que les mesures prises par les entreprises ne sont pas publiques, explique l'un des coauteurs, Michel Gérin. Par ailleurs, ces mesures sont prises en poste fixe et non dans la zone respiratoire des travailleurs comme l'exige la réglementation. En un mot, on ne mesure pas adéquatement l'exposition des travailleurs.»

Pour Denis Bégin, également coauteur, la situation de l'exposition à l'amiante au Québec, de façon plus générale, devrait être rapidement corrigée étant donné l'augmentation de l'incidence des cancers (mésothéliomes) associés à cette substance.

«L'industrie de l'amiante parle d'exposition passée, où la prévention était déficiente. Cependant, il y a 30 ans que la réglementation existe à ce sujet, et pourtant les taux de mésothéliomes continuent d'augmenter. Il y a donc visiblement un problème», souligne-t-il.

Normes sévères

Le syndicat des métallos (FTQ), qui représente la moitié des quelque 800 travailleurs de l'amiante chrysotile, est en désaccord avec ces conclusions. «Il est bien évident que, dans certains petits chantiers de construction, il peut y avoir des employeurs peu scrupuleux qui mettent parfois de côté la sécurité. Mais dans les chantiers reconnus, les normes sont sévères et elles sont respectées rigoureusement», indique le directeur, Daniel Roy.

Notons que la Fédération internationale des organisations de travailleurs de la métallurgie (FIOM) ne partage pas l'avis de la FTQ à ce sujet.

Quant à l'Institut du chrysotile, il souligne l'importance de circonscrire le problème au secteur de la construction. «Il y a certes un problème avec les travailleurs de la construction, qui sont pris avec de vieilles infrastructures où les fibres sont à l'air libre, mais ce n'est pas le cas des travailleurs dans les mines et les moulins, où la ventilation est adéquate», soutient le président Clément Godbout.

Mais cela ne convainc pas les opposants à l'amiante chrysotile. «À part les gens qui sont payés pour défendre cette industrie, personne ne dit que l'amiante chrysotile n'est pas dangereux, lance le Dr Pierre Gosselin. Un médecin qui affirmerait une telle chose serait passible de poursuites pour incompétence par le Collège des médecins.»

«Les experts de la santé publique du Québec et d'ailleurs répètent depuis des années que l'industrie de l'amiante nous assène des contre-vérités», renchérit Kathleen Ruff, coordonnatrice de l'Alliance pour la convention de Rotterdam, un traité qui encadre le commerce international de certains produits chimiques dangereux.

Cela est vrai pour les Québécois, mais aussi pour les travailleurs des pays en développement, qui achètent plus de 95% de l'amiante chrysotile produit ici, souligne celle qui est aussi conseillère principale à l'Institut Rideau. «Je suis tout à fait d'accord (avec le Dr Gosselin), il s'agit certainement d'une situation qui s'apparente à de la négligence criminelle», renchérit-elle.

Interrogé à ce sujet, le cabinet du ministre fédéral des Travaux publics et député de la région de l'amiante, Christian Paradis, s'est contenté d'envoyer sa position par courriel: «Depuis 1979, le gouvernement du Canada fait la promotion de l'approche d'utilisation sécuritaire et contrôlée du chrysotile au Canada et à l'étranger. Cette approche est étayée par de nombreuses études scientifiques qui démontrent que le chrysotile peut être utilisé de façon sécuritaire en contrôlant le niveau d'exposition aux fibres.»

Quant au ministre québécois des Mines, Serge Simard, il a fait parvenir une lettre récemment envoyée au Parti libéral du Canada, qui réitère le soutien de la province à l'industrie de l'amiante chrysotile.