La crise actuelle est due au gaspillage abusif. Les entreprises qui violent les lois environnementales devraient être sévèrement punies. Le développement durable est bon pour la qualité de vie.

Ces affirmations, qui auraient été considérées comme dignes de farouches militants écolos il y a à peine deux décennies, sont aujourd'hui reprises par une majorité écrasante de Canadiens, et par encore plus de Québécois. C'est une des constatations les plus étonnantes d'un sondage Mustel Group commandé par la Fondation David Suzuki, publié aujourd'hui en exclusivité par La Presse et le Globe and Mail.

Mené auprès de 4368 Canadiens, dont 1028 Québécois, ce sondage comprend une cinquantaine de questions permettant d'évaluer leur sensibilité à l'égard de l'environnement. Premier constat : celle-ci ne s'est pas émoussée malgré le ralentissement économique.

«Certains constats m'ont littéralement jeté en bas de ma chaise, résume Karel Maynard, directeur général de la Fondation David Suzuki pour le Québec. Au total, 76% des Canadiens et des Québécois disent que la situation économique actuelle est le résultat d'une consommation et d'un gaspillage abusifs. J'ai été vraiment surpris par ça, je n'aurais pas pensé que les gens feraient autant ce lien.»

L'autre statistique frappante, selon M. Maynard, concerne également les causes de la crise économique. Pour 68% des Canadiens et 71% des Québécois, la crise a été causée par «le fait de sacrifier la justice sociale et les préoccupations environnementales au profit des gains économiques».

«C'est assez surprenant, dit M. Mayrand. Ce sont des énoncés qui sont forts. Je me serais attendu à ce que la moitié moins de gens aient cette opinion. Ce sont des choses impensables il y a 10 ans qui sont maintenant passées dans le "mainstream".»

La «durabilité» avec des lunettes roses

Globalement, les Québécois se déclarent nettement plus verts que l'ensemble des Canadiens. Dans des dizaines de domaines, ils sont plus nombreux, dans des marges d'environ 5%, à montrer une plus grande sensibilité environnementale. Des exemples : ils sont 39% à considérer que l'environnement devrait être une des trois priorités du Canada, alors que les Canadiens appuient ce choix à 35%.

Quelque 55% des Québécois se disent «environnementalistes», alors que 48% des autres Canadiens se désignent ainsi.

Quand on les questionne sur les impacts positifs de l'adoption de politiques de développement durable, les Québécois se classent premiers de toutes les provinces. Ils sont 56% à considérer que ces politiques auraient un impact positif sur le coût de la vie, contre 48% des Canadiens. Pour 86% des répondants québécois - une «quasi-unanimité», selon M. Mayrand - et 79% des Canadiens, l'impact sur la qualité de vie sera positif.

L'écart est encore plus grand quand on sonde les opinions au sujet des changements climatiques. En effet, 79% des Québécois, un sommet au Canada, considèrent que les effets seront très graves, contre 72% au Canada. À l'inverse, les Québécois ne sont que 22% à estimer que les préoccupations liées aux changements climatiques sont exagérées. Les Canadiens croient la même chose dans une proportion de 28%, avec un sommet de 39% en Alberta.

Les Québécois se perçoivent comme plus verts, soit, mais le sont-ils réellement ? «C'est vrai que les Québécois ont plus d'ouverture, ils ont une perception plus favorable que le reste du Canada, mais il y a une différence importante, répond Karel Mayrand. Au Québec, on est beaucoup plus dans l'action collective que dans l'action individuelle. Les Québécois vont demander des pistes cyclables, des transports collectifs, ils vont s'attendre à ce que les institutions publiques et les entreprises fournissent les solutions et ils vont être prêts à les utiliser.»

Cela dit, la préoccupation pour l'environnement a beau être de plus en plus importante, elle est loin de déclasser les autres enjeux importants que sont l'économie et la santé. Quand on demande aux Canadiens de nommer trois enjeux dont le pays doit s'occuper d'urgence, 69% d'entre eux désignent l'économie - 67% au Québec. Les soins de santé sont mentionnés par 51% des Canadiens et 54% des Québécois, tandis que l'environnement est un enjeu prioritaire pour 35% des Canadiens et 39% des Québécois.

«On voit que les mentalités et les priorités ont évolué, estime le directeur général. Les principales priorités des gens restent l'économie et la santé. Par contre, si on lit le sondage dans son ensemble, les gens n'opposent plus l'économie et l'environnement, et font de plus en plus le lien entre leur santé et l'environnement. C'est plus nuancé que ce qu'on avait il y a 10 ou 15 ans.»