En raison de l'explosion des morts liées à l'amiante, le Mexique doit non seulement bannir l'importation de chrysotile du Canada, il doit aussi refiler le coût des soins de santé à l'industrie, conclut une équipe de six chercheurs de santé publique.

Publiés dans la revue scientifique American Journal of Industrial Medicine, les travaux de l'équipe du Dr Guadalupe Aguilar-Madrid sont accablants pour le Canada, et par conséquent le Québec, d'où provient la majorité de l'amiante utilisé au Mexique.

On accuse Ottawa de profiter des lois permissives du Sud pour écouler les produits toxiques qui ne peuvent être vendus sur son territoire. «Malgré les effets bien connus de l'exposition à l'amiante, il existe une politique internationale, pilotée par le Canada, qui vise à donner un second souffle à l'utilisation "sécuritaire" du chrysotile, déplore-t-on. Cela implique un transfert des industries dangereuses vers les pays moins industrialisés, comme le Mexique, dont les lois sont trop timides et inefficaces pour protéger les travailleurs.»

Traçant un lien direct entre l'exposition à l'amiante, y compris le chrysotile canadien, et la prévalence des cas de cancers de la plèvre (mésothéliomes pleuraux), les chercheurs demandent au Mexique de fermer ses portes à ce «produit cancérogène».

«Nous proposons que le gouvernement mexicain bannisse l'utilisation et la commercialisation de toutes les formes d'amiante, écrivent les experts, afin de s'attaquer à l'épidémie en cours et de protéger de façon urgente les générations futures.»

Ottawa rétorque que «le bannissement n'est ni nécessaire ni approprié», car l'amiante peut être utilisé de façon sécuritaire.

Responsabilité

Citant une étude concluant que le recours à l'amiante peut miner une économie nationale pendant plus de 30 ans, les scientifiques invitent aussi le gouvernement à refiler la facture des soins de santé aux entreprises productrices, «qui génèrent les dommages».

Sans qu'elles soient nommées comme telles, les sociétés québécoises sont visées, car, au Mexique, précisent les auteurs, «l'amiante majoritairement utilisé est le chrysotile du Canada».

Selon l'équipe du Dr Aguilar-Madrid, le nombre de morts liées au mésothéliome pleural, un cancer rare que les chercheurs lient à l'exposition à l'amiante, est resté plutôt stable à environ 40 cas annuels, de 1979 à 1996, puis a explosé par la suite pour atteindre près de 180 en 2006.

On évoque une «épidémie», car on estime que, pour chaque mésothéliome, on compte plus de deux cas mortels de cancer du poumon lié à l'inhalation de cette fibre blanche.

L'Institut du chrysotile remet cependant en question le lien fait par les chercheurs entre ces chiffres et l'amiante actuellement exporté par le Québec. «Le Mexique a importé du crocidolite pendant plusieurs années, une amphibole qui servait à faire des tuyaux, souligne Clément Godbout, consultant. Si l'exposition des travailleurs a été de plusieurs années, il y a de fortes chances que les problèmes constatés relèvent en grande partie de cette époque.»

Mais selon Pierre Gosselin, directeur du Centre de collaboration de l'OMS pour l'évaluation et la surveillance des impacts sur la santé de l'environnement et du milieu de travail du CHUQ, l'étude montre bien le lien de cause à effet entre l'amiante chrysotile et la maladie en cause.

«À titre d'hypothèse, on peut expliquer ces chiffres par la délocalisation des entreprises vers le Mexique, au milieu des années 80. On voit ainsi qu'à partir de 1997, il y a une montée subite et exponentielle des taux de mésothéliomes de la plèvre», souligne-t-il.

Risques?

Qu'à cela ne tienne, ni Ottawa ni Québec ne comptent amender leur position officielle. «Notre avis demeure le même, indique Micheline Joanisse, de Ressources naturelles Canada. Les risques liés à l'utilisation du chrysotile peuvent être gérés sous des conditions contrôlées. Le bannissement du chrysotile n'est ni nécessaire ni approprié. Établir une interdiction ne servirait pas à protéger les travailleurs ou le public contre les utilisations interdites depuis des années et qui ont eu cours dans le passé.»

«Le Québec maintient son soutien à l'utilisation sécuritaire et contrôlée du chrysotile, ajoute Anne-Sophie Desmeules, du cabinet du ministre québécois du Développement économique et de l'Exportation, Clément Gignac. Il appartient aux pays qui importent l'amiante de réglementer son utilisation.»

L'American Journal of Industrial Medicine est une revue scientifique basée sur la révision par les pairs. Elle est classée septième au monde en ce qui a trait à son «facteur d'impact» dans son champ d'activité. L'article a reçu le feu vert pour publication en septembre 2009.