L'entente historique à laquelle sont parvenus écologistes et industriels au sujet de la forêt boréale canadienne, annoncée mardi, suscite beaucoup d'enthousiasme, mais aussi du scepticisme.

La Fédération des municipalités, la ministre des Ressources naturelles, le Parti québécois, Nature Québec, le Conseil de l'industrie forestière du Québec, tous ont salué cette entente, qui met fin aux redoutables campagnes de boycottage des grands groupes environnementalistes contre les produits forestiers jugés dommageables pour l'environnement.

En échange, des sociétés comme AbitibiBowater, Kruger et Tembec décrètent un moratoire sur les nouvelles exploitations dans une superficie de 29 millions d'hectares au Canada, dont 8,5 millions au Québec. Elles prennent plusieurs engagements pour améliorer leurs pratiques et appuyer la création d'aires protégées.

«Pour Greenpeace, c'est une journée mémorable, a déclaré Mélissa Filion, directrice de Greenpeace au Québec. Écologistes et industriels enterrent la hache de guerre.»

Cependant, rien dans cette entente n'empêchera la construction de milliers de kilomètres de chemins forestiers et de deux ponts sur la rivière Broadback, à la Baie-James, ce qui donnera accès à un secteur jugé parmi les plus prometteurs pour la conservation du caribou forestier.

Sur la carte distribuée hier, cette région située à l'est du lac Evans est pourtant teintée en rouge. Cela veut dire normalement qu'il s'agit d'un «territoire visé pour la planification de la conservation du caribou forestier», où en principe toute nouvelle exploitation devrait être suspendue pendant trois ans, selon l'entente.

Mais Domtar et Norbord, qui ne sont pas membres de l'Association des produits forestiers du Canada (APFC), ont aussi des droits sur ce territoire.

«Cette entente ne nous aide pas beaucoup si Domtar continue comme si rien n'avait changé», a affirmé à La Presse Geoff Quail, responsable de la foresterie au Grand Conseil des Cris.

Domtar a annoncé récemment la vente de sa division forestière à Eacom, une société de Colombie-Britannique, qui n'a pas rappelé La Presse. Le porte-parole de Domtar, Pascal Bossé, dit que la signature de l'entente est «une très bonne nouvelle» et que l'entreprise adhère à la norme d'exploitation écologique du Forest Stewardship Council (FSC)

Hier matin, à Toronto, les signataires de l'entente se sont réjouis de l'avancée qu'elle représente.

«La société en a assez du discours polarisé sur l'environnement, a déclaré Avrim Lazar, président de l'APFC. Chaque citoyen et chaque entreprise doit faire partie de la solution. Et le verdissement de l'économie nous y pousse. C'est notre stratégie d'affaires. On va s'assurer que nos efforts se traduisent par un avantage de marketing.»

Parmi les groupes environnementalistes signataires de l'entente, certains ont été très efficaces ces dernières années pour faire changer les mentalités des acheteurs de papier et de bois.

«Cette entente change la donne pour la plus grand forêt intacte au monde», affirme Josée Breton, de Canopée, un groupe qui presse les éditeurs d'utiliser du papier certifié écologique.

L'industrie n'avait plus le choix, dit Louis Bélanger, membre de Nature Québec et professeur d'aménagement durable des forêts à l'Université Laval.

«Pour avoir accès au marché, avoir une image verte est devenu une condition sine qua non, dit M. Bélanger. Cela dit, avec la rationalisation de l'industrie, il y a des usines qui ferment et la demande est en baisse. Alors le timing est bon pour créer des aires protégées.»