La ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, prend au sérieux le rapport dans lequel Greenpeace propose la création de deux immenses aires protégées dans la forêt commerciale.

«La demande n'est pas nouvelle, mais, maintenant, deux scientifiques l'ont validée», a affirmé Mme Normandeau à La Presse.

Fort de l'entente conclue la semaine dernière entre des groupes environnementalistes et une partie de l'industrie forestière canadienne, Greenpeace a exposé hier en détail ses propositions destinées à préserver la biodiversité dans la forêt boréale au Québec.

La rédaction de ce rapport, intitulé Refuge boréal, a été supervisée par Nicolas Mainville, responsable de la campagne Forêts de Greenpeace Canada. Deux universitaires réputés y apposent leur signature: Christian Messier, de l'UQAM, directeur du Centre d'étude de la forêt, et Yves Bergeron, de l'UQAT, titulaire de la Chaire industrielle en aménagement forestier durable.

Un travail cartographique poussé a permis de désigner deux zones relativement peu perturbées jusqu'ici par l'industrie forestière.

La plus grande zone, celle de la vallée de la Broadback, s'étend sur 23 000 km2 au nord de Matagami et au nord-ouest de Chibougamau. Selon Greenpeace, cette zone est intacte à 75%. Elle comprend notamment un territoire que le traité de la paix des Braves, conclu avec les Cris en 2002, prévoyait transformer en parc.

L'autre zone, celle des Montagnes blanches, est située entre le lac Mistassini et le réservoir Manicouagan. Elle s'étend sur 14 000 km2 et est intacte à 90%, selon Greenpeace. Elle est peuplée de caribous forestiers, une espèce menacée.

La proposition de Greenpeace est ambitieuse: il n'existe aucune aire protégée de plus de 5000 km2 au sud de la limite de la forêt commerciale.

Mais il est urgent d'agir, selon M. Mainville: «Il ne reste que 10% ou 15% de forêt intacte au sud. Au rythme actuel, celle-ci sera fragmentée ou exploitée d'ici à 2020.»

Selon Mme Normandeau, les zones que Greenpeace aimerait voir protégées contiennent 300 000 m3 de bois attribués à trois entreprises: AbitibiBowater, Domtar et Norbord. Ces deux dernières ne sont cependant pas parties à l'entente sur la forêt boréale annoncée la semaine dernière.

«C'est l'équivalent de l'approvisionnement d'une grosse usine de sciage, fait remarquer la ministre. Comme toujours, on essaie de concilier la conservation et la saine utilisation de la ressource forestière. Mais on a le plus grand cheptel de caribous forestiers au monde, et on est prêts à analyser les propositions de conservation.»

Elle a salué la «nouvelle ère de collaboration» entre groupes environnementalistes et industriels, qui a donné naissance à l'entente annoncée la semaine dernière. «On va rencontrer les gens d'AbitibiBowater la semaine prochaine pour connaître leurs intentions, a dit Mme Normandeau. Mais il n'est pas question qu'on les dédommage s'ils ont décidé comme des grands de renoncer à exploiter des territoires.»

Luc Bouthillier, de la faculté de foresterie de l'Université Laval, trouve les nouvelles des derniers jours très intéressantes dans le contexte actuel, où le régime forestier québécois est en pleine transformation.

«Ces grandes aires protégées vont peut-être nous forcer à faire de la vraie foresterie ailleurs, dit-il. Et pour l'industrie, l'idée est de montrer patte verte. C'est aussi une question de marketing.»

Selon lui, le rapport de Greenpeace est «cautionné par deux scientifiques de renom, au Québec et à l'échelle mondiale». «Il faut saluer ce document, il est accessible à toute personne de bonne volonté», dit-il.

Pour consulter le rapport, cliquez ici