On croirait entendre le début d'une chanson de Richard Desjardins. «Ils sont arrivés avec un animateur, un avocat, un gars très bon dans les présentations PowerPoint. Ils nous ont dit qu'ils venaient s'installer à Dunham, que tout était réglé. Ce jour-là, les citoyens ont commencé à se méfier.»

Avec plusieurs concitoyens, Jean Binette, employé de cimenterie à la retraite, se bat depuis deux ans contre un projet pétrolier mis sur pied par Pipe-lines Montréal. Cette entreprise compte investir 13 millions dans une section locale d'un projet bien plus vaste de 346 millions baptisé Trailbreaker, lancé par la firme Enbridge. Les citoyens craignent les effets des fuites sur la nappe phréatique et l'enlaidissement de tout un secteur par la construction d'une station de pompage.

Leurs craintes ont été ravivées à la fin du mois de juillet, quand une fuite dans un oléoduc appartenant justement à la pétrolière albertaine Enbridge a provoqué le déversement de plus de 3 millions de litres de pétrole dans la rivière Kalamazoo, au Michigan.

Pas de danger, assure Pipe-lines Montréal: l'oléoduc qui traverse Dunham est en bonne condition et le projet est sûr. «On se doit de faire ce qui est nécessaire pour entretenir notre pipeline, et on le fait depuis 1941, assure Guy Robitaille, porte-parole. On a une bonne feuille de route.»

Site touristique à protéger

Dans un rang de Dunham qui longe le site de la future station de pompage, Jean Binette, Laurent Busseau et Guy Durand, président du comité de citoyens opposés au projet, montrent en détail au journaliste de La Presse les impacts potentiellement dévastateurs de ce projet. Nous sommes au kilomètre 296 du pipeline, comme l'indique une borne. Par cette belle journée chaude du début du mois d'août, les trois hommes sont intarissables.

«Quand ils présentent leur projet, ils nous disent que tout va être très beau, explique Guy Durand, professeur de l'Université de Montréal à la retraite. Ils vont tout mettre dans deux bâtiments de ferme pour que ce soit très beau, pour ne pas défaire le paysage.»

Le hic, dit-il, c'est que la station de pompage comprend également une petite station électrique dans un site très touristique. «Les cyclistes affluent ici les fins de semaine. Pour voir le paysage, c'est un des trois lieux indiqués comme superbes sur les cartes touristiques.»

De possibles fuites de pétrole risqueraient en outre de contaminer un secteur géologique central, à la croisée de tout un bassin hydrographique, dit Laurent Busseau, historien et formateur. «C'est un lieu très stratégique. Toutes les maisons autour ont un puits. Il y a tout un réseau de ruisseaux et de rivières souterraines qui descendent et vont approvisionner Cowansville et le lac Davignon. S'il y a une fuite ici, non seulement dans le pipeline mais aussi à la station, même des infiltrations infimes vont pourrir la nappe phréatique.»

M. Durand montre du doigt le tournant de la route, à quelques centaines de mètres. «Juste là, c'est le ruisseau Corriveau, qui s'en va dans la rivière Yamaska. On est à 4 km du lac qui alimente en eau potable les habitants de Cowansville.»

Inversion à risque

Le projet Trailbreaker, dévoilé au public pour la première fois en août 2008, prévoit inverser le flux de pétrole du Canada vers les États-Unis pour permettre un débouché au pétrole albertain. Une section de ce projet serait réalisée par Montréal Pipe-lines et utiliserait l'oléoduc qui relie actuellement l'est de Montréal à Portland, dans le Maine. Présentée comme sans danger par Pipe-lines Montréal, l'inversion du sens d'écoulement du pétrole inquiète les citoyens. Quelque 2600 d'entre eux ont signé une pétition qui demande au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement de se pencher sur la question.

«On ne fait aucune vérification sur un pipeline qui a plus de 60 ans», explique Laurent Busseau. «On a parlé à des gens qui s'y connaissent, qui nous ont confirmé qu'une inversion, ça crée des problèmes, assure M. Binette. Le pétrole est toujours allé dans le même sens, il a usé l'intérieur d'une certaine façon. Si on inverse, il y a risque de fuite.»

Les trois citoyens reconnaissent que le transport pétrolier par oléoduc est l'un des plus sûrs et des plus écologiques qui soient. Le hic, c'est l'état de cet oléoduc, vieux de six décennies. «La compagnie nous dit toujours qu'il n'y a pas de problème avec les pipelines, que c'est la façon la plus sécuritaire de transporter le pétrole, dit M. Binette. C'est vrai, mais c'est comme les avions: il y a des accidents. Je ne traverserais pas l'Atlantique dans un DC-3 qui date de 60 ans!»

La prochaine action du comité de citoyens, c'est de demander à l'Office national de l'énergie d'inspecter le pipeline. Les trois hommes sont bien entendu convaincus que l'organisme fédéral va découvrir une infrastructure en piteux état à certains endroits. «On a assez de doutes pour demander qu'une étude sérieuse soit faite. On ne se bat pas contre les sables bitumineux en Alberta - ça, c'est une autre question. S'ils veulent le faire, ils vont le faire. Mais on ne veut pas qu'il arrive ce qui est arrivé au Michigan.»