L'industrie québécoise du gaz de schiste va démarrer en 2011 à Lotbinière, au sud-ouest de Québec. C'est là, sur des terres publiques situées dans les municipalités de Saint-Édouard et Leclercville, que les forages gaziers sont les plus prometteurs. C'est là aussi où les tensions se font déjà sentir et les impacts sur l'eau inquiètent. Voyage dans le laboratoire social et environnemental d'une industrie au seuil d'une croissance explosive.

«Ici, ça tremblait dans la maison quand ils faisaient un forage. La nuit, c'était épeurant.»

Diane Beaudet est attablée dans la cuisine de son chalet, dans un rang forestier, à 60 km à l'ouest de Québec.

Dehors, à environ un kilomètre, la machinerie lourde de la compagnie albertaine Talisman a quitté il y a quelques semaines. Le puits est prêt, il est en période de test. Une torchère est installée pour brûler le gaz. Il ne manque qu'un gazoduc pour raccorder le puits au réseau de distribution de Gaz Metro.

Devant Mme Beaudet, une chemise remplie de documents. Des lettres de Gaz Metro. Des avis publics. Et des feuilles imprimées à partir de sites internet au sujet du gaz de schiste, cette richesse qui dormait depuis des millions d'années et qu'on peut maintenant exploiter grâce à de nouvelles techniques. «Plus je m'informe et plus je constate tout les dangers liés à cette exploitation», dit-elle.

Il est probable que le puits de Saint-Édouard sera un des premiers à entrer en production. Selon les prévisions de l'industrie, il serait suivi de centaines d'autres dans la vallée du Saint-Laurent au cours des prochaines années. Cette industrie née au Texas pourrait créer 7500 emplois au Québec tout en donnant accès à des réserves représentant l'équivalent de 100 années de la consommation provinciale de gaz naturel.

«Ce n'est pas sûr à 100% qu'on va produire du gaz à Saint-Édouard, mais les résultats sont encourageants, dit Vincent Perron, porte-parole de Talisman. Il y a un potentiel d'une dizaine d'autres puits. D'ici la fin de 2010, les décisions seront prises.»

Des décisions qui entraîneront la construction par Gaz Metro d'un gazoduc de 28 kilomètres vers les champs gaziers de Lotbinière.

«C'est notre premier projet de gazoduc pour la production gazière, dit Marie-Noëlle Cano, porte-parole de Gaz Metro. On a eu le mandat des producteurs de proposer un tracé. Notre rôle est de prolonger notre réseau vers les sites de production. On envisage une mise en opération vers le milieu de 2011.»

Le tracé proposé passait dans l'érablière de Mme Beaudet. Elle a résisté pendant quatre mois, refusant même l'accès aux arpenteurs de Gaz Metro. Finalement, le tracé a été changé.

D'autres ont accepté, sachant que Gaz Metro a un pouvoir d'expropriation. Un mot que Gaz Metro évite d'utiliser. «Le cadre juridique fait qu'on peut obtenir une expropriation, mais on préfère négocier de gré à gré», dit Mme Cano.

Avant de démarrer la construction, Gaz Metro a demandé à la Régie de l'énergie d'autoriser le tarif qu'elle compte appliquer aux producteurs québécois de gaz. La décision reste à venir.

Selon Me Dominique Neumann, qui représente Stratégies énergétiques et l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), il est clair que la Régie de l'énergie autorisera Gaz Metro à lancer ce tout nouveau secteur d'activité. «Un tarif sera fixé, alors ce service sera offert, dit-il. C'est manifeste.»

Mais il souligne que Gaz Metro utilise pour cela les mêmes pouvoirs que pour la livraison du gaz, considérée comme un service public. «C'est regrettable que Gaz Metro dispose d'un pouvoir d'expropriation pour des fins strictement privées», dit-il.

Le gazoduc de Lotbinière coûtera environ 22 millions, une somme qui sera remboursée par les producteurs privés, selon ce que demande Gaz Metro. La Régie de l'énergie sera elle aussi appelée à autoriser cet investissement, tout comme la Commission de protection du territoire agricole.

Un tel investissement est le présage d'une intensification de l'exploitation gazière dans la région. Et cette perspective est loin d'enchanter le préfet de la MRC, Maurice Sénécal, qui est aussi maire de la ville de Lotbinière.

«Il y a des dommages possibles à l'environnement, dit-il. Si on regarde ce qui s'est fait ailleurs, ça m'inquiète. On nous fait miroiter des retombées, mais il n'y a eu aucune retombée positive.»

Il critique aussi le manque d'encadrement de l'industrie. «Pour le moindre champ d'épuration, il faut des plans d'ingénieur, dit-il. Mais on fore pour le gaz de schiste et le ministère de l'Environnement n'est pas là. Et personne n'a un mot à dire, à part le ministère des Ressources naturelles.»

«Oui, tout le monde veut être riche, dit M. Sénécal. Mais le coût en qualité de vie et en santé, c'est la population qui le vit. C'est pour ça qu'on a demandé un moratoire au ministère des Ressources naturelles et une audience au BAPE. Avant d'écrire la loi avec les compagnies, regardons ce que ça veut dire concrètement.»