L'histoire des Kerr, un couple de la Saskatchewan, a fait le tour du monde, hier, dans le milieu de la lutte contre les changements climatiques. Ils accusent le plus gros projet d'enfouissement de gaz à effet de serre au monde d'avoir causé des fuites néfastes sur leur terrain.

Ce que nie catégoriquement l'entreprise Cenovus, qui s'appuie sur 10 années de surveillance indépendante pour affirmer que le gaz carbonique qu'elle injecte dans le sous-sol est bel et bien emprisonné dans des réservoirs naturels étanches.

L'enjeu est important. La technologie de capture et de séquestration du gaz carbonique est considérée comme l'une des seules qui permettent de combattre les changements climatiques tout en continuant de consommer du charbon. Une fois enfoui, le gaz carbonique, ou CO2, cesse de réchauffer l'atmosphère.

Si cette technologie est mise en doute, des groupes et des citoyens seront encore plus nombreux à demander aux gouvernements de cesser d'y investir des milliards de dollars.

«À l'échelle internationale, il y a seulement quatre ou cinq projets de séquestration de carbone et celui-ci est le plus important, dit George Peridas, du National Resource Defence Council, aux États-Unis. Les gens se posent des questions légitimes. Le plus important, c'est d'ordonner une étude indépendante le plus rapidement possible.

Du gaz plutôt que de l'eau

Le projet de Cenovus a démarré il y a plus de 10 ans, lorsque l'entreprise s'appelait EnCana. L'objectif était de stimuler la production d'un gisement pétrolier en exploitation depuis une cinquantaine d'années dans la région de Weyburn, à 100 km au sud de Regina.

La stimulation d'une nappe de pétrole souterraine est un processus simple et répandu: on y injecte une autre substance pour faire augmenter la pression. Généralement, on utilise de l'eau.

Dans le cas du gisement de Weyburn, l'injection d'eau avait perdu son efficacité au fil des ans. Le gaz carbonique pouvait permettre de relancer la production.

EnCana s'est alors associée à une usine qui transforme le charbon en gaz naturel, à 300km au sud, dans le Dakota-du-Nord. Cette usine unique en son genre rejetait beaucoup de gaz carbonique dans l'atmosphère. Un pipeline a été construit jusqu'à Weyburn, ce qui a permis d'enfouir 3 millions de tonnes de gaz carbonique par année.

«Ils ont payé pour le pipeline et nous les payons pour le gaz carbonique», explique Rhona DelFrari, porte-parole de Cenovus.

Dès le départ, le projet a intéressé l'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui en a fait un de ses principaux sujets de recherche dans le domaine des changements climatiques. Dans le cadre de ces recherches, l'AIE a fait des relevés sur le terrain afin de pouvoir surveiller d'éventuelles émanations de gaz et de s'assurer que le gaz carbonique sera bel et bien enfoui de façon étanche.

Ce qui nous amène à Cameron et Jane Kerr, qui habitent au-dessus du gisement de Weyburn.

Ils affirment que du gaz carbonique s'échappe du fond de leur étang et que des animaux en sont morts. Selon un reportage du Globe and Mail publié hier, ils affirment cela depuis des années. Ils décrivent le gaz qui s'échappe «comme si on avait secoué une bouteille d'eau gazeuse». Il monte parfois en brusques bouffées qui font des trous dans les parois de leur étang. Ils ont fait réaliser une étude sur ce gaz, qui aurait la même signature chimique que celui qui est injecté.

Conclusions contestées

Cenovus conteste cette étude et l'a soumise à trois firmes de consultants pour y répondre.

«S'il y avait des fuites, elles se produiraient ailleurs que chez les Kerr, dit Mme DelFrari. Il y en aurait là où nous avons fait des injections, alors que leur terrain est au-dessus d'une partie du gisement où nous n'en avons jamais fait.»

Selon Claude Villeneuve, spécialiste des changements climatiques à l'Université du Québec à Chicoutimi, il serait facile de vérifier si le gaz carbonique qui s'échappe chez les Kerr provient bel et bien du projet de Cenovus.

«Il y a toutes sortes de formations géologiques où on peut injecter des gaz; il faut s'assurer qu'elles sont étanches, dit M. Villeneuve. Dans le cas de Weyburn, on était relativement confiants. Mais ça ne veut pas dire que les Kerr ont tort.»

L'histoire des Kerr braque les projecteurs sur une technologie qui n'a pas encore fait ses preuves dans la lutte contre les changements climatiques, selon M. Villeneuve.

«Actuellement, la technologie de capture et de séquestration de carbone n'est pas vraiment mûre, dit-il. À Weyburn, on récupère six barils de pétrole pour chaque tonne de CO2 enfoui. Avec du pétrole à 91$, c'est rentable. Mais sans exploitation pétrolière à stimuler, les projets ne sont pas viables.»

Photo: PC

De l'eau recouverte d'une pellicule de plastique bleu argent.