Les lacs, rivières et autres étendues d'eau douce émettent des quantités insoupçonnées de méthane, puissant gaz à effet de serre, selon une récente étude internationale. Cela pourrait avoir pour effet indirect de rendre moins efficaces que prévu les programmes de reforestation mis en place dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques.

«Les émissions de gaz à effet de serre des étendues d'eau douce équivalent au quart du carbone stocké dans les sols des continents», explique l'auteur principal de l'étude parue dans Science, David Bastviken, de l'Université Linköping en Suède. «On a longtemps pensé que leur contribution au bilan de carbone était négligeable parce que la superficie des lacs et des rivières est relativement faible par rapport aux terres. C'est une erreur.»

Les travaux de l'équipe américano-suédo-brésilienne dirigée par M. Bastviken complètent les premières estimations faites depuis trois ans sur les émissions de dioxyde de carbone provenant des lacs et rivières. L'équipe conclut que les émissions de méthane représentent environ le tiers des émissions de gaz à effet de serre (GES) provenant des étendues d'eau douce. Les chercheurs ont analysé 474 écosystèmes sur plusieurs continents pour tirer leurs conclusions.

Reforestation

Cela signifie que les forêts et autres végétaux, qui constituent des «puits» de carbone, vont contrebalancer de façon moins importante les émissions polluantes des lacs et rivières. Dans le cadre des ententes sur la lutte contre les changements climatiques, il est possible pour un émetteur de GES (par exemple, une usine de production d'électricité à partir du charbon) d'acheter des «permis de polluer», ou «crédits de carbone», vendus par des organismes faisant de la reforestation. Les résultats de l'étude de M. Bastviken pourraient ainsi signifier, à terme, que ces permis de polluer vaudront moins cher.

Le géochimiste suédois, cependant, hésite à s'aventurer dans de telles suppositions. «Les émissions de GES des étendues d'eau douce varient très certainement selon les latitudes et les conditions spécifiques des écosystèmes. Dans le Nord, par exemple, les émissions surviennent surtout à la formation et à la fonte des glaces. Nous pensons que notre estimation est prudente: les émissions des étendues d'eau douce pourraient représenter une portion encore plus grande du carbone stocké dans les terres, la moitié au lieu du quart. Mais il est trop tôt pour appliquer ces chiffres aux programmes de reforestation.

Réservoirs hydroélectriques

D'autre part, ces résultats signifient que l'impact des barrages hydroélectriques et de leurs réservoirs est encore plus négatif que prévu.

Yves Prairie, biologiste de l'UQAM qui a collaboré aux études sur les émissions de CO2 par les étendues d'eau douce, confirme que ces résultats changent complètement les calculs de la contribution des continents à l'effet de serre. «Avant, on faisait un bilan de carbone pour les océans, les continents et l'atmosphère, dit M. Prairie. Il faudra faire un bilan séparé pour les étendues d'eau douce et pour la portion terrestre des continents.» Une étude de M. Prairie, menée notamment dans le réservoir Eastmain, montre que 11% du carbone séquestré dans les sols se sédimente au fond des cours d'eau douce, 42% est libéré dans l'atmosphère et le reste se rend dans l'océan.