Old Harry. Avant d'être le nom d'un gisement, c'est celui du hameau de Marilyn Clark. Elle est née dans ce village de pêcheurs anglophone à l'extrémité nord-est de l'archipel des Îles-de-la-Madeleine.

«Mon père était pêcheur, comme mon grand-père et mon arrière-grand-père, dit la femme de 29 ans, qui étudie les sciences politiques. Pour moi, Old Harry a été un merveilleux endroit pour grandir, et maintenant que j'ai un enfant de 2 ans, je veux que ce soit la même chose pour lui.»

Mme Clark fait partie de la centaine de participants attendus à un forum sur les hydrocarbures qui a lieu aujourd'hui et demain à Cap-aux-Meules, chef-lieu des Îles.

Le forum est organisé par la municipalité, qui s'oppose aux forages pétroliers et gaziers offshore, comme celui que veut réaliser prochainement la société Corridor Resources.

Avant d'obtenir son permis de forage de Terre-Neuve, Corridor doit produire une étude d'impact, ce qui est prévu en juin.

«Notre projet est de forer un puits exploratoire de 1800 à 2000 mètres sous le fond de la mer, dit Paul Durling, géophysicien en chef de Corridor. Le forage devrait durer de 20 à 50 jours. On n'est pas certains de ce qu'on va trouver. Ce sera probablement du gaz, mais peut-être aussi du pétrole léger.»

Trop vite

Mais les choses vont trop vite pour les Madelinots. «En juin dernier, on a lancé un appel à un moratoire sur l'exploration et l'exploitation, dit le maire de la municipalité des Îles-de-la-Madeleine, Joël Arseneau. C'est pour nous permettre de revoir l'encadrement provincial et fédéral de l'industrie, afin d'avoir une approche intégrée.»

Même si, éventuellement, des emplois très bien payés pourraient échoir aux Madelinots. «On n'assujettira pas notre environnement, nos pêcheries, notre tourisme et notre qualité de vie aux demandes de l'industrie pétrolière», dit-il.

Selon Marilyn Clark, qui en a fait son principal sujet d'étude, l'industrie n'est pas bien encadrée. «Il n'y a pas de surveillance indépendante, dit-elle. Le golfe est géré par quatre entités différentes, quatre provinces, alors que l'eau n'a pas de frontières. Je demande au gouvernement fédéral de reprendre ses responsabilités en matière d'environnement et de pêcheries.»

Mais c'est plutôt un mouvement dans l'autre direction qu'on observe, avec la signature la semaine dernière de l'accord Ottawa-Québec sur la gestion conjointe des hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent.

Dans cet accord, il est précisé qu'aucun forage ne sera permis dans la portion québécoise du golfe avant 2012, quand sera publiée l'évaluation environnementale stratégique commandée à ce sujet par Québec.

Une étude de ce type, publiée par le gouvernement de Terre-Neuve en 2005, a ouvert la voie aux forages. Mais cette étude comportait plusieurs lacunes, selon Mme Clark. «On ne cesse d'y répéter que les connaissances font défaut, dit-elle. Alors comment peut-on protéger quelque chose qu'on ne connaît pas?»

Espèces menacées

La biologiste Lyne Morissette, titulaire de la chaire UNESCO en analyse intégrée des systèmes marins, est l'une des conférencières aujourd'hui à Cap-aux-Meules.

Elle confirme qu'on connaît mal le Golfe, bien qu'on sache que c'est un écosystème plus riche et plus complexe que celui du golfe du Mexique, par exemple. Et peut-être aussi plus vulnérable.

«L'endroit où on se propose de forer est en plein dans le parcours migratoire des baleines bleues, dit-elle. C'est comme mettre un bloc de béton au milieu de la 132. Est-ce qu'elles vont dévier? Est-ce qu'elles vont se perdre?»

La baleine bleue, menacée d'extinction, est une espèce emblématique de cet écosystème, mais l'industrie pétrolière et gazière en touchera potentiellement bien d'autres.

Par exemple, selon Mme Morissette, il est prouvé que le crabe des neiges y est sensible, ce qui laisse craindre que le homard le soit aussi.

Gail Fraser, professeure de biologie à l'Université York à Toronto, participe elle aussi au forum. Elle est spécialiste de l'impact de l'industrie des hydrocarbures sur les écosystèmes marins.

Selon elle, il y a trois groupes de préoccupations. Premièrement, les levés sismiques, comme ceux réalisés par Corridor Resources l'automne dernier dans la portion terre-neuvienne du Golfe. «Ils sont un problème pour les baleines et les poissons adultes, on le sait, mais on n'a pas beaucoup d'information sur leur impact sur les aires de ponte des poissons et sur les invertébrés», dit-elle.

Puis, il y a les déversements, accidentels ou habituels: boues de forage, eau de forage.

Spectre de marée noire

Enfin, l'éventualité qui hante tous les esprits depuis l'an dernier après la marée noire provoquée par l'explosion du puits exploratoire de BP dans le golfe du Mexique. À ce sujet, Corridor affirme que s'il devait y avoir une marée noire, l'impact serait mitigé parce que le pétrole serait léger et s'évaporerait rapidement.

Mais pour essayer de comprendre ce qui se produirait dans le golfe du Saint-Laurent, il faut plutôt tirer les leçons du naufrage de l'Exxon Valdez, en Alaska en 1989, dit Mme Fraser.

«L'eau du golfe du Saint-Laurent est froide, comme en Alaska, et les hydrocarbures ne se dégradent pas aussi vite dans l'eau froide», dit Mme Fraser.

«En Alaska, deux ressources importantes, les harengs et les moules, ne sont toujours pas rétablies, après 20 ans. Et le saumon a pris 15 ans à se rétablir.»

Il y a donc amplement matière à inquiéter les Madelinots. «Malgré toutes les questions qu'on se pose, on veut quand même garder la tête froide, dit le maire Arseneau. L'heure n'est pas à dire: je suis pour ou je suis contre. Mais il faut s'assurer que nos activités actuelles soient respectées.»

Image: La Presse

Le lieu projeté pour le forage se trouve sur le parcours migratoire de la baleine bleue, espèce emblématique de cet écosystème.