Marina Silva parle d'une voix posée, sur le ton de celle qui sait qu'elle n'a pas fini d'essayer d'infléchir le cours normal des affaires.

Née dans une famille de récolteurs de caoutchouc dans les forêts de l'Ouest amazonien, compagne de lutte de Chico Mendes, militant écologiste assassiné en 1988, Marina Silva a tenu une conférence à Montréal la semaine dernière.

Une escale de plus dans son parcours étonnant qui l'a conduite jusqu'aux Jeux olympiques de Londres, où elle a eu l'honneur de porter le drapeau olympique pendant la cérémonie d'ouverture.

L'incident diplomatique n'a pas tardé: Mme Silva, candidate du Parti vert en 2010 pour la présidence du Brésil, avait dérangé les dirigeants des partis traditionnels en obtenant 20% du vote.

Le Brésil, hôte des prochains jeux d'été en 2016, a semoncé le Comité international olympique, qui a répliqué que Mme Silva, couverte de récompenses internationales, représentait très bien le «pilier environnemental» du mouvement olympique.

Aujourd'hui sans affiliation politique, Mme Silva cherche un nouveau moyen d'influencer la politique au Brésil et ailleurs.

«Les gens n'ont plus d'illusions: ils estiment que les groupes qui tiennent les rênes du pouvoir politique et économique ne feront pas ce qui est nécessaire pour surmonter la grave crise de civilisation à laquelle nous sommes confrontés», regrette-t-elle, en entrevue avec La Presse, en marge de la conférence Civicus.

«Il y a une conjonction de la crise financière, environnementale, sociale, politique, souligne-t-elle. À la base de cette crise, il y a celle des valeurs. Le système vise à conserver la logique de l'argent pour l'argent et du pouvoir pour le pouvoir.»

«Actuellement, nous avons une éthique de circonstances qui sacrifie des ressources naturelles vieilles de millions d'années pour quelques décennies de profits.»

«Il ne faut plus séparer l'éthique de la politique, ni l'écologie de l'économie ou les discours de l'action», affirme-t-elle.

Un programme qui ne manque pas d'ambition. «Il n'y aura jamais de situation où tout ceci sera appliqué, convient-elle. Mais ce sont des valeurs qui me motivent, c'est comme le moteur à l'arrière du bateau.»

La récente conférence de Rio"20 a cependant donné un splendide exemple de l'échec de ces ambitions. Mme Silva s'en désole. «En 1992, alors qu'on avait moins conscience des problèmes, on a obtenu des résultats, explique-t-elle. Cette année, rien n'est arrivé. On a remis à plus tard ce qui ne pouvait pourtant pas attendre.»

Elle gribouille un schéma sur une feuille. Un cercle foncé entouré d'un autre plus large dans lequel elle fait des petits points.

«En ce moment, au Brésil, un mouvement apolitique est en train de s'organiser, indique-t-elle. Ce mouvement inclut des universitaires, des jeunes et des personnes de la société civile. Je m'échine à renforcer ce mouvement. On voit émerger un nouveau type de militantisme, déconnecté du centre du pouvoir. C'est un mouvement multi-centrique.»

Mme Silva a bien pratiqué la politique traditionnelle. Élue sénatrice en 1994, à 36 ans, puis ministre de l'Environnement dans le gouvernement de Lula da Silva de 2003 à 2008, elle souligne les succès de son pays dans la lutte contre la déforestation. «Mais maintenant, le gouvernement met de l'avant des projets qui ne tiennent pas compte des limites des écosystèmes, s'insurge-t-elle. C'est la logique de l'augmentation de la production et de l'expansion des terres agricoles qui prévaut.»

Elle n'a pas manqué de noter l'élection de Pauline Marois au Québec, tout en s'inquiétant du Plan Nord. «On parle de grands investissements mais dans une partie du Québec très sensible du point de vue environnemental et des communautés autochtones, note-t-elle. J'espère que maintenant qu'il y a une femme premier ministre, il sera possible d'insuffler une nouvelle démarche.»