Mercredi dernier, la présidente du Conseil des Canadiens, Maude Barlow, terminait son mandat de conseillère principale en matière d'eau auprès du président de l'Assemblée générale des Nations unies. Le jour même, elle a lancé Vers un pacte de l'eau, un livre qui dénonce ces gouvernements trop indulgents face à des entreprises assoiffées. Parmi eux, le Canada et le Québec. Rencontre.

Q: Le Canada est enclin à vendre ses ressources non renouvelables, comme le pétrole, le gaz naturel et le charbon, mais pas son eau, pourtant renouvelable...

 

R: Il n'y a là rien de bien surprenant. Les Canadiens comprennent bien que si leur eau est un jour vendue en vrac, elle sera alors contrôlée par de grosses entreprises, possiblement américaines.

Q: Mais le Canada n'a-t-il pas une responsabilité par rapport aux nations moins bien pourvues en eau?

R: Il ne faut pas se méprendre. Si l'eau est un jour vendue, elle sera achetée par ceux qui sont capables de se la payer, non par ceux qui en ont besoin. Le premier endroit qui en profiterait serait fort probablement Las Vegas. Or, sacrifier notre eau dans l'unique but de répondre à la demande insatiable de nos voisins aurait pour effet de renforcer leurs mauvaises habitudes de consommation.

Q: Utilise-t-on mieux l'eau ici qu'au sud de la frontière?

R: Pas du tout. Tous les Nord-Américains la tiennent pour acquis. La seule différence, c'est qu'il y a ici moins de monde, mais plus d'eau.

Q: On entend souvent dire que le Canada possède le cinquième des réserves d'eau douce de la planète...

R: Si l'on vidait tous les lacs, toutes les rivières, tous les aquifères au pays, c'est vrai, on aurait alors 20% des ressources d'eau douce au monde. Mais cela transformerait le Canada en un immense désert! En réalité, nous n'avons que 6,5% de l'eau douce disponible, c'est-à-dire qui peut être utilisée sans tarir l'écosystème. Si l'on s'en tient au territoire courant le long de la frontière américaine, où habite 90% de la population canadienne, on ne retrouve plus que 2,5% des ressources mondiales.

Q: La majeure partie de l'eau potentiellement exportable se trouve dans le nord du pays...

R: Oui, il s'agit de l'eau qui s'écoule dans les grandes rivières qui remontent vers le nord. Or, la vendre à Las Vegas ou ailleurs aux États-Unis nécessiterait l'érection de barrages comme celui des Trois-Gorges (en Chine), d'énormes infrastructures qui permettraient de canaliser l'eau dans des pipelines, ainsi que de nouvelles centrales nucléaires pour alimenter le tout. Et le pire, c'est qu'avec l'Accord de libre-échange nord-américain, dès que vous ouvrez les vannes, vous n'avez plus le droit de les refermer.

Q: Mais ne sommes-nous pas déjà des exportateurs d'eau, par l'entremise de l'embouteillage?

R: Certainement, et cela est désolant. Le Canada est un exportateur net d'eau. L'an dernier, nous avons permis qu'environ 2,5 milliards de litres d'eau soient prélevés pour être embouteillés et ensuite, exportés. J'ai eu accès à une carte des quelque 70 points d'eau de Nestlé. Il s'agissait de petits points rouges disséminés partout sur la planète. Devinez où se trouvait la plus grande concentration de points rouges dans le monde? Autour des Grands Lacs.

Q: La redevance proposée par Québec est-elle la solution?

R: Non. Puisque nous n'appuyons pas l'embouteillage d'eau, nous n'appuyons pas plus l'idée d'une redevance, qui permet finalement à ceux qui ont suffisamment d'argent de faire main basse sur la ressource. À l'heure actuelle, nous assistons à un vol de l'eau par l'entreprise privée. Une fois qu'une entreprise a accès à un point d'eau, elle en est pratiquement propriétaire. Cela est d'autant plus vrai que, sous l'ALENA, une entreprise qui s'estime lésée a le droit de poursuivre le gouvernement. Ainsi, si le Québec souhaitait réduire l'accès d'une entreprise à la ressource, elle serait accusée de violer son contrat.

Q: Une interdiction d'exporter l'eau n'est-elle pas en vigueur au Québec?

R: Oui, mais il s'agit d'une interdiction volontaire, qui n'a rien de contraignant. Nous craignons que le Québec choisisse de la transgresser éventuellement, en raison des pressions exercées par certains groupes comme l'Institut économique de Montréal. Mais aussi parce que la vente d'eau peut être perçue comme une façon rapide et facile de renflouer les coffres de l'État. Nous demandons donc une interdiction formelle et pancanadienne.

Q: Que nous dit la crise des algues bleues sur notre façon d'utiliser l'eau, au Québec?

R: L'eutrophisation des cours d'eau est un des plus graves problèmes auxquels le Canada et le Québec sont actuellement confrontés. Cela est un problème qui émane de nombreuses sources, phosphore et nitrates, agriculture intensive, porcheries, etc. Dans le nord de l'Allemagne, ils ont une loi qui envoie directement en prison quiconque contamine un tant soit peu l'eau. Quand un gouvernement est prêt à agir, quand il est sérieux, il adopte une loi comme celle-ci. Ce serait formidable si le Québec décidait d'aller en ce sens, s'il devenait un leader de la gestion de l'eau.

Q: Car il ne l'est pas actuellement?

R: Malheureusement pas. Nous nous réjouissons de l'intention du Québec de confirmer que l'eau est un bien commun. Mais nous craignons qu'il en profite pour vendre son eau, sous prétexte que cela procurerait des bénéfices financiers pour la collectivité. En plus d'officialiser le caractère commun de l'eau, Québec devrait ajouter qu'elle n'est pas à vendre.

Q: Vous militez pour une stratégie nationale de l'eau...

R: Oui, cela inclurait les provinces, les Premières Nations, le gouvernement fédéral, la société civile. Je suggère que tous adoptent des principes communs sur la protection et la gestion des bassins versants. Ensuite, chacun prendrait les éléments qui sont sous sa juridiction puis les appliquerait localement. Voilà notre rêve.

Q: Le fédéral appuie-t-il cette idée?

R: Tous les partis fédéraux nous appuient, sauf les conservateurs. Le gouvernement Harper ne reconnaît même pas le droit à l'eau à l'ONU, imaginez! Je viens de terminer mon mandat à titre de conseillère principale sur l'eau auprès du président de l'Assemblée générale des Nations unies, Miguel d'Escoto Brockmann. Avec lui, j'ai rédigé un projet de résolution d'urgence stipulant que l'Assemblée générale de l'ONU est la seule organisation au monde capable de proposer un plan d'urgence pour l'eau. Nous avons reçu l'appui d'un bon nombre de pays, mais pas celui du Canada.