Alors que le Canada est dénoncé sur toute la planète pour avoir tourné le dos au protocole de Kyoto, le Québec fonce en direction opposée: il limitera les émissions de gaz à effet de serre sur son territoire en ciblant particulièrement l'industrie pétrolière.

Le ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP), Pierre Arcand, a annoncé jeudi l'adoption du règlement qui crée le système québécois de plafonnement et d'échange de droits d'émissions de gaz à effet de serre.

M. Arcand a souligné «l'importance d'agir sans attendre et de prendre les devants» devant la réalité des changements climatiques. «Il faut changer le modèle de développement économique en un modèle beaucoup plus respectueux des personnes et de l'environnement», a-t-il déclaré en conférence de presse à Montréal.

«Le fait de poser ce geste cette semaine est particulièrement important, considérant que le Canada se retire de Kyoto», affirme Sidney Ribaux, d'Équiterre.

Cette mesure permet au Québec de garder le cap vers son objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 20% par rapport à 1990 d'ici 2020.

Québec imposera une limite à la quantité de GES que les plus grands pollueurs pourront rejeter dans l'atmosphère. Tous les établissements industriels émettant plus de 25 000 tonnes par année y seront assujettis. On parle ici d'alumineries, de sociétés papetières, d'usines chimiques, de cimenteries, etc.

Dès l'an prochain, ces usines - il y en a environ 80 - devront déclarer leurs émissions de gaz à effet de serre.

Et en 2013, le gouvernement remettra gratuitement des crédits correspondant à leurs émissions de 2012. L'année suivante, elles en recevront un peu moins. Et ainsi de suite jusqu'en 2020.

Industrie pétrolière

L'impact le plus significatif de ce règlement arrivera seulement en 2015. Les distributeurs d'hydrocarbures se verront alors imposer à leur tour une limite aux émissions de GES liée à la combustion de ces produits. C'est-à-dire une limite à l'essence, au diesel, au mazout et au gaz naturel brûlés au Québec.

Mais dans ce cas, le gouvernement ne remettra pas de crédit gratuitement à l'industrie. Les Shell, Suncor, Ultramar et autres Esso devront acheter ces crédits du gouvernement, qui vendra aux enchères le droit d'émettre une tonne de GES. Coût minimum: 10$ la tonne.

En tout, au Québec,

les transports représentent annuellement 35 millions de tonnes de gaz à effet de serre et les autres usages d'hydrocarbures (surtout le chauffage) 10 millions de tonnes, pour un total d'environ 45 millions de tonnes.

Donc, cela représentera au bas mot une dépense de 450 millions pour l'industrie, somme qui sera versée au Fonds vert et qui sera réinvestie en majorité dans les projets de transports collectifs et d'électrification des transports.

C'est donc tout le secteur des transports qui devra se transformer radicalement.

Marché du carbone

Le prix de 10$ est un plancher. Le règlement fixe aussi un plafond de 55$. Car il est presque assuré que le marché québécois ne sera pas suffisant pour fournir tous ces crédits carbone aux entreprises.

C'est la faiblesse du plan québécois: sans un marché plus large qui comprendrait la Californie, l'Ontario et la Colombie-Britannique, le marché québécois du carbone n'est peut-être pas viable, concède-t-on.

Là-dessus, le ministre Arcand dit que le Québec fait le pari de prendre la position de tête de ce mouvement vers un «marché mondial du carbone» qu'il juge «inévitable». «Notre action incitera sûrement d'autres provinces à faire de même», a-t-il dit, en précisant qu'à sa connaissance, l'Ontario se disait toujours engagé dans cette voie, malgré l'élection d'un gouvernement minoritaire cet automne.

La Californie est le seul autre endroit aussi avancé que le Québec dans l'établissement d'un marché du carbone. Elle va encore plus loin en étant plus sévère pour le pétrole extrait des sables bitumineux, exemple que le Québec ne suivra pas pour le moment.

Initiative saluée

L'annonce de jeudi a été saluée par les groupes écologistes. «On lance un système qui regroupe deux États qui, ensemble, sont l'équivalent de la population et de l'économie du Canada, et ce n'est pas rien, dit Sidney Ribaux, d'Équiterre. On va voir si d'autres provinces et d'autres États embarquent.»

«Heureusement qu'il reste des États, des provinces, des villes et des entreprises qui veulent aller de l'avant, ce qui contraste avec l'attitude du gouvernement Harper», a déclaré André Bélisle, président de l'Association québécoise de lutte à la pollution atmosphérique (AQLPA).

Les deux groupes auraient toutefois souhaité que le secteur des hydrocarbures soit touché avant 2015, tout comme Scott McKay, porte-parole de l'opposition officielle en matière d'environnement. «Il faut se questionner sérieusement sur le fait que la Bourse du carbone n'inclut pas, dès maintenant, le secteur des transports qui, à lui seul, représente 40% des émissions de gaz à effet de serre», a-t-il dit.

45 MILLIONS DE TONNES

Ce sont les émissions annuelles de gaz à effet de serre (GES) des distributeurs d'hydrocarbures au Québec, liées à la combustion de leurs produits.

10 $ LA TONNE

Le prix minimum des crédits d'émission de GES imposé à l'industrie pétrolière dès 2015.

3,5 TONNES

Les émissions moyennes de GES d'une voiture chaque année. À 10 $ la tonne, l'impact sur le prix de l'essence pourrait représenter quelques cents le litre, ou environ 35 $ par année.

-20%

Le Québec maintient le cap sur ses objectifs de réduire les émissions de GES de 20% par rapport à 1990 d'ici 2020.

L'Assemblée nationale doit intervenir, plaide Louise Beaudoin

La députée indépendante de Rosemont et ancienne ministre des Relations internationales, Louise Beaudoin, veut que l'Assemblée nationale se prononce sur le retrait du Canada du protocole de Kyoto annoncée par le gouvernement Harper.

«Le gouvernement devrait convoquer l'Assemblée nationale pour une session extraordinaire afin de maintenir le Québec dans le protocole de Kyoto, dit-elle. Ce n'est pas parce que le gouvernement canadien se retire de Kyoto que le Québec doit en faire autant.»

Elle rappelle qu'un article de la Loi sur le ministère des Relations internationales permet au Québec de se prononcer dans le cas de «la dénonciation d'une entente internationale importante». Cependant, ce geste aurait une portée plus politique que juridique.