Dans le désert de sel d'Uyuni, des chimistes manipulent la saumure; la Bolivie avance vers l'exploitation du lithium, son «or gris» indispensable aux voitures électriques de demain. Mais c'est sans lever les doutes sur la capacité du pays à assumer seul son développement.

«Je suis très fière de travailler dans le projet le plus important de Bolivie: l'industrialisation du lithium», explique à l'AFP Manuela Quispe, indienne «aymara» de 27 ans, tout sourire dans sa tenue blanche et ses gants de laborantine, au milieu de tubes et d'éprouvettes.

Avec seize autres ingénieurs, elle collecte, analyse quotidiennement la saumure tirée des «piscines» d'évaporation de l'immense salar (désert de sel) à 3600 mètres d'altitude. Elle vérifie sa pureté et sa concentration dans l'usine-pilote d'Uyuni inaugurée en 2009.

«Notre objectif au laboratoire est de déterminer quelle quantité d'ions, c'est-à-dire de lithium, de potassium, de sodium, ou encore de calcium, contient chaque échantillon reçu», explique Santos Copa, autre analyste.

L'usine de 180 employés est la vitrine du projet mi-industriel mi-politique du président socialiste Evo Morales: la Bolivie, l'un des pays les plus pauvres d'Amérique du Sud, historiquement pillée pour ses minerais (argent, étain), compte exploiter enfin pour son compte sa grande richesse: le lithium, métal mou dont elle détient plus 50% des réserves au monde.

L'idée-force du gouvernement est que la Bolivie assure «seule» les phases I et II du processus, la production de carbonate de lithium, puis de lithium métallique. Pour la 3e phase seulement, vers fin 2014, la production de batteries pour voitures, elle s'associerait avec un partenaire étranger.

Mais les pluies abondantes sur Uyuni ont perturbé l'exploitation des piscines et déjà retardé la phase I de plusieurs mois. Le «Mr Lithium» bolivien, Luis Alberto Echazu, chef des Ressources évaporitiques au ministère des Mines, évoque désormais à l'AFP une production «de chlorure de potassium en octobre, de carbonate de lithium en fin d'année».

Les pays intéressés par le lithium et écartés courant 2010 pour les phases I et II (Corée du Sud, Japon, France) n'ont pas caché leur scepticisme sur la capacité de la Bolivie à effectuer le «saut technologique» nécessaire.

Pour Juan Carlos Zuleta, économiste indépendant et expert sur le lithium, la fabrication de batteries «requiert un carbonate de grande pureté, que le projet pilote ne peut fournir, du moins sans aide technologique extérieure, car il ne s'agit pas d'extraction de minerai classique».

Selon lui, le doute sur les capacités boliviennes est renforcé par le fait que le pays a récemment dû renoncer à sa position initiale et conclure des accords de coopération avec d'autres pays pour la phase I. Ainsi, le Japon va bientôt expérimenter à Uyuni un procédé moderne d'extraction.

«Nous ne sommes pas encore sûrs que la Bolivie puisse produire un lithium adéquat idéal pour la production de batteries», a récemment averti, dans le journal La Razon, le directeur adjoint des Ressources minérales au ministère japonais de l'Économie, Satoshi Hasimoto.

Et le responsable japonais de souligner prudemment qu'une priorité serait d'exploiter le lithium «pour ses usages qui ne nécessitent pas toujours une grande pureté, comme la fabrication de verre ou de lubrifiants».

«Les autorités boliviennes n'ont pas compris que le lithium n'est pas une ressource rare», souligne une source diplomatique. Et que, sans attendre la Bolivie, il est déjà exploité avidement ailleurs, au Chili (44% de l'offre), en Australie (25%), en Chine ou en Argentine.

«La course pour le lithium est lancée. Et à ce rythme, le plus probable est que la Bolivie y rentre trop tard», diagnostique M. Zuleta.