La Colombie-Britannique est citée en exemple pour sa gestion de sa ressource gazière. L'industrie apprécie l'efficacité de son guichet unique, la BC Oil and Gas Commission (BCOGC). Et c'est payant: les revenus tirés des enchères de permis d'exploration ont remporté en moyenne 750 millions par année depuis 10 ans. Mais en y regardant de plus près, on peut trouver plusieurs défauts dans le système britanno-colombien, que le Québec veut copier.

Va-et-vient de personnel entre gouvernement et industrie, calcul trompeur des revenus des redevances gazières, manque d'étude de l'impact cumulatif de l'industrie, La Presse a pu constater que le modèle de la Colombie-Britannique souffre de nombreuses failles.

Peu de gens connaissent mieux ces failles que Gwen Johannson. Depuis sa petite maison sur les rives de la rivière Peace, cette enseignante à la retraite de 65 ans suit pas à pas l'industrie qui est en train de transformer la région où elle habite depuis 1972.

«Il n'y a pas de raison de faire un traitement de faveur à l'industrie gazière, dit-elle. Il n'y a pas une seule autre industrie qui a droit à un guichet unique. C'est vrai que ça facilite la vie de l'industrie, mais je ne crois pas que cela protège de façon efficace la population ou l'environnement.»

Tout en reconnaissant la création d'emplois qui vient avec l'industrie, Mme Johannson parle surtout du point de vue des propriétaires et résidants. Elle est aussi conseillère municipale de sa ville, Hudson's Hope, où plusieurs entreprises ont fait des travaux. C'est au nord de cette ville que la société Talisman a lancé l'exploitation de son plus gros gisement de la province.

Elle a travaillé des centaines d'heures - bénévolement - pour améliorer l'encadrement de l'industrie et faciliter le voisinage avec la population. En 2006, le gouvernement l'a choisie pour coprésider avec un représentant de l'industrie un comité, le Northeast Energy and Mines Advisory Commitee.

Les travaux du comité ont duré trois ans, mais le résultat est bien mince, juge-t-elle. «La seule petite amélioration: la province nous avertit maintenant quand les droits sur notre sous-sol ont été vendus», dit-elle.

La gestion de la consommation d'eau de l'industrie par la BCOGC a été critiquée. Par exception, l'organisme émet les permis de prélèvement d'eau de l'industrie gazière, alors que les autres industries doivent s'adresser au ministère de l'Environnement.

Après avoir étudié la question, la BCOGC a conclu en août dernier que le secteur pétrolier et gazier consomme 10 fois moins d'eau que les pâtes et papiers dans la province et ne menaçait pas la ressource.

Mais il faut rappeler le contexte, selon Mme Johannson: l'exploitation gazière se déroule dans une région relativement aride, où en plus la sécheresse a sévi cinq des six dernières années. «Et l'eau utilisée par l'industrie disparaît à jamais», dit-elle.

D'ailleurs, pour la première fois de son histoire, la BCOGC a suspendu les prélèvements d'eau l'été dernier dans quatre affluents de la rivière Peace.

«On voyait que les débits diminuaient, a expliqué James O'Hanley, commissaire adjoint de la BCOGC. On travaille étroitement avec le ministère de l'Environnement, et on savait qu'ils commençaient à s'inquiéter. Une prise d'eau municipale et un habitat de truite étaient menacés. Alors on a annulé tous les permis. C'était la première fois que cela arrivait.»

Mme Johannson souligne en outre qu'il n'y a aucune étude permettant de connaître l'état actuel des sources d'eau souterraines dans la région. «On prend des risques avec une ressource qu'on ne connaît pas, dit-elle. Il pourrait se passer bien du temps avant que les conséquences n'apparaissent.»

Terres agricoles

L'impact cumulatif des activités gazières inquiète aussi la Commission des terres agricoles de la Colombie-Britannique, l'équivalent de la Commission de protection du territoire agricole au Québec.

Cette commission a commencé à évaluer cet impact, à la suggestion du vérificateur général de la province.

En effet, la BCOGC gère un régime d'exception en zone agricole. Pour l'industrie gazière, nul besoin d'autorisation de la commission agricole pour utiliser une surface de 15 acres ou moins sur chaque lot de 160 acres, ni pour faire passer un pipeline.

Le vérificateur général de la Colombie-Britannique critique aussi la façon dont le gouvernement calcule les redevances gazières. Le gouvernement refuse de changer sa méthode de calcul, qui a surestimé de 177 millions les revenus gaziers pour la seule année 2009-2010, selon le vérificateur.

Le problème: les producteurs reçoivent des crédits pour leurs investissements, que ce soit dans les puits ou les infrastructures comme les routes, et ces crédits ne sont pas calculés comme une dépense, alors qu'ils le devraient, selon le vérificateur.

Par ailleurs, La Presse a pu constater que la BCOGC n'exerce aucun contrôle sur les substances chimiques employées par l'industrie lors de la fracturation des puits de gaz. «Les compagnies doivent garder une liste donnant les produits utilisés et les quantités, mais elles n'ont pas à nous les transmettre à moins que nous ayons une raison d'enquêter là-dessus, dit Ken Paulson, ingénieur en chef de la BCOGC. Et jusqu'à maintenant, la situation ne s'est pas présentée.»

La BCOGC n'effectue pas non plus de suivi sur l'impact global et cumulatif sur la faune et la flore d'un projet comme celui de Talisman, qui va transformer en zone industrielle un territoire de 180 kilomètres carrés.

Derrière ces détails techniques, c'est la proximité du gouvernement avec l'industrie et la dépendance du Trésor provincial aux revenus gaziers qui se cache, dit Mme Johannson. «Les fonctionnaires et les gens de l'industrie sont interchangeables», dit-elle, citant des exemples des derniers mois.Dans un cas, un haut fonctionnaire a été embauché par une société au sujet de laquelle il avait pris des décisions. Deux mois après avoir quitté la fonction publique, il s'enregistrait comme lobbyiste de l'industrie. Dans l'autre cas, c'est l'adjointe politique du ministre des Ressources naturelles qui est devenue directrice des relations gouvernementales d'une entreprise gazière.

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Les règles

Les puits de gaz doivent être:

> à au moins 40 m d'une voie publique;

> à au moins 100 m de tout bâtiment ou d'un puits d'eau potable;

Les autres équipements (réservoirs, machinerie, etc.) peuvent être à 60 m d'un bâtiment ou de la voie publique.

Les forages sont permis à moins de 100 mètres des cours d'eau, à condition d'être accompagnés d'installations pour contenir les déversements accidentels.

Les bassins de stockage d'eau de fracturation doivent être à au moins 100 m d'un cours d'eau et à 200 m d'un puits d'eau potable.

Les installations ne doivent pas produire de «bruit excessif».

Jusqu'à une distance de 250 m d'une résidence, un propriétaire de surface peut demander des accommodements à la compagnie. Faute d'entente, un tribunal d'arbitrage peut trancher.