Si le Québec va de l'avant avec l'exploitation du gaz de schiste, il risque d'être aux prises à jamais avec la pollution de l'eau souterraine, selon le géologue Marc Durand, qui a enseigné pendant 25 ans à l'UQAM, jusqu'à sa retraite, en 1999.

Il croit que l'industrie sera partie depuis longtemps quand les problèmes apparaîtront. «Il faut prendre une échelle de temps comparable aux déchets nucléaires, dit-il. Il faut être capable de dire ce qui va se produire dans 50 ans, dans 200 ans. Une police d'assurance en ce sens serait prohibitive. Qu'ils aillent à la Lloyd's, à Londres, pour voir.»

«Le volet comptable du plan d'affaires de l'industrie du gaz de schiste n'inclut pas le coût de la prime de risque, dit-il. Et c'est pour ça qu'on parle de rentabilité, parce que le risque est repassé au gouvernement du Québec.»

Il affirme que la roche qui contient le gisement gazier, le shale d'Utica, sert actuellement de barrière contre les couches géologiques plus profondes, qui contiennent de l'eau très saline.

«Avec un forage à tous les kilomètres carrés, on va couvrir 10 000 km2, dit-il. La quasi-totalité de la formation de shale d'Utica sera fracturée. Le shale deviendra beaucoup plus perméable. Au moins 1000 fois, peut-être 1 million de fois. Et en dessous de l'Utica, il y a de l'eau très fortement saline et minéralisée, de 10 à 12 fois plus salée que l'eau de mer. Au-dessus de l'Utica, il y a le shale de Lorraine, qui n'est pas une formation uniforme. On ne connaît pas beaucoup les fractures et les zones perméables dans le Lorraine.»

Il affirme que l'injection à très haute pression des liquides de fracturation peut perturber la séparation naturelle des eaux douces près de la surface et des eaux qui deviennent de plus en plus salines à mesure qu'on pénètre en profondeur.

«C'est vrai que, dans un état naturel, il existe une telle stratification, dit-il. Mais si on modifie la perméabilité des couches et qu'en plus, on augmente la pression en profondeur, ça change complètement tout. L'eau saline va trouver des chemins, en plus de tout ce qu'ils auront injecté et qui n'aura pas été repompé, donc qui circulera aussi.»

M. Durand connaît bien la géologie du sud du Québec, en particulier le shale d'Utica : il l'a ausculté pendant le creusage du métro et de la conduite principale d'égout menant à l'usine d'épuration de Montréal. «On en avait profité pour faire des recherches parce que c'est rare d'avoir accès au sous-sol à aussi grande échelle.»

Il n'est pas rassuré par l'industrie, qui a remis au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) des études réalisées au Texas et en Pennsylvanie.

Ces études montrent que les fissures produites pendant l'hydrofracturation se font à une profondeur telle qu'elles n'atteignent jamais la nappe d'eau potable souterraine, ou aquifère.

«Ça ne prouve rien, dit-il. Les graphiques ne montrent pas du tout la géologie entre la zone de microfracture et les aquifères près de la surface. On ne voit pas les failles naturelles et la nature des roches. L'eau a pu s'engouffrer par une fracture naturelle et aller beaucoup plus loin sans être détectée. «

Il accuse l'industrie d'appliquer «de tout temps et partout» une approche selon laquelle on «préfère prendre le risque de payer après coup pour des dommages».

«Les pires dommages s'établissent dans le long terme : l'industrie aura depuis longtemps plié bagage avant que ça commence à paraître et l'on ne pourra donc pas légalement faire un lien direct entre les deux.»

M. Durand se défend aussi d'être «anti-développement». «Je me suis toujours trouvé du côté de ceux qui trouvent que les écologistes exagèrent, mais je sentais que j'avais des connaissances à partager au sujet des gaz de schiste», dit-il. Il préfère voir cette ressource laissée sur place, le temps d'une ou deux générations, quand on saura l'exploiter mieux et de façon moins risquée.