John Sellar n'est pas un héros de bande dessinée, mais il pourrait en être un à en juger par les criminels qu'il traque en tant que seul policier affecté à la Cites, l'organisation de l'ONU qui réprime le trafic illégal d'espèces animales et végétales.

La mafia russe, les seigneurs de la drogue latino-américains, quelques rebelles ou terroristes et des diplomates asiatiques véreux sont parmi les braconniers de rhinocéros, tigres et léopards à qui John Sellar voudrait bien mettre la main au collet.

Alors que ces trafics sont une source très lucrative de revenus pour le crime organisé, la Convention de l'ONU sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Cites) a dû se débrouiller cette année avec un maigre budget de 5,1 millions de dollars.

«On m'appelle 'chef', mais je n'ai pas de troupes», explique-t-il à l'AFP. Les ressources sont si chiches que l'organisation n'a même pas de fichier informatisé sur les activités criminelles du trafic d'espèces protégées.

De leur côté, les autorités des pays visés, parmi les plus pauvres de la planète, «n'ont même pas les moyens de recourir aux techniques de médecine légale en cas d'homicide. Alors, vous pensez bien, quand il s'agit de rhinocéros !», se fait fataliste John Sellar.

Le trafic illégal de caviar est une des spécialités de la mafia russe, tandis que les gangsters asiatiques font commerce de cornes de rhinocéros et de défenses d'éléphant.

Le «garde-chasse» de l'ONU rechigne à avancer une estimation globale de la valeur de ces trafics, mais à l'en croire, cela en vaut la peine. Une corne de rhinocéros se négocie à «plusieurs dizaines de milliers de dollars le kilo», souligne-t-il. «Au poids, une corne de rhinocéros rapporte plus que l'or, les diamants, l'héroïne ou la cocaïne», assure-t-il.

En outre, les mafias voient dans ces trafics une manière de recycler l'argent d'autres activités criminelles, comme le trafic de drogue et d'êtres humains.

«Les criminels ont tellement d'argent qu'ils ne savent pas quoi en faire. Ils n'arrivent pas à le laver assez vite recherchent des secteurs où ils peuvent investir: l'ivoire en est un, le trafic de caviar en est un autre...», constate l'ancien policier écossais.

En outre, ils profitent de la tendance des polices du monde entier à négliger les crimes écologiques. Pourtant, selon le «chef» Sellar, l'angle d'attaque pourrait être fructueux, à l'instar de la police américaine qui a coincé Al Capone pour fraude fiscale.

«Beaucoup de ces organisations criminelles ne couvrent sans doute pas leurs traces aussi soigneusement quand elles se livrent au trafic illégal d'espèces menacées», assure le policier de la Cites.

Même les groupes rebelles armés ou terroristes recourent au braconnage pour financer leurs activités, surtout en Afrique. «Dans certaines régions d'Afrique, le braconnage a financé les activités des rebelles pendant des décennies», assure John Sellar.

«J'ai entendu dire qu'une partie du trafic illégal (d'espèces menacées) au Moyen-Orient et dans certaines régions de l'Asie alimente Al Qaïda. Je n'ai pas de preuve, mais j'ai entendu des rumeurs», dit-il.

Les groupes criminels ne sont cependant pas seuls à être tentés: des diplomates bien mis, surtout asiatiques, ont déjà été pris la main dans le sac.

En novembre dernier, le Vietnam a rappelé l'une de ses diplomates d'Afrique du Sud après qu'elle eut été filmée en train de se livrer au trafic de corne de rhinocéros. «Ce n'est absolument pas» le seul cas où des diplomates ont été mis en cause car la demande en Asie, notamment au Vietnam et en Chine, est à la source de tentations toujours plus fortes, assure John Sellar.

Le policier cite ainsi un diplomate asiatique en poste en Afrique de l'est qui a tenté d'utiliser l'immunité de ses bagages pour exporter des défenses d'éléphant. «Il a été arrêté, mais son pays l'a fait libérer sous caution et il a pris la fuite», raconte-t-il.