Il semble plus facile que jamais de construire dans les milieux humides, derniers bastions de la nature dans la région de Montréal. Depuis l'adoption d'une nouvelle «démarche» en janvier 2007, le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs a autorisé tous les projets de construction.

Les écologistes s'insurgent contre ce changement, mais le ministère de l'Environnement se défend de présider à un saccage dans les derniers marais, marécages et tourbières de la région.

 

La Loi sur la qualité de l'environnement exige l'obtention d'un certificat d'autorisation avant de construire dans un milieu humide. Selon une compilation effectuée par La Presse à partir de données obtenues par les Conseils régionaux de l'environnement de Montréal et de Laval, depuis janvier 2007, le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP) a autorisé chacun des 81 projets de construction dans les milieux humides à Laval, à Montréal et en Montérégie qui ont fait l'objet d'une demande.

La nouvelle démarche devait permettre de préserver les milieux les plus précieux tout en facilitant l'autorisation des travaux dans les autres cas.

Au moins un de deux objectifs est atteint: le traitement des dossiers s'est accéléré, ce qui répond aux préoccupations des promoteurs immobiliers.

Le Ministère se défend en affirmant que les projets les plus dommageables sont modifiés ou abandonnés avant même le dépôt d'une demande.

«C'est facile de dire que le Ministère dit oui à tout, dit Patrick Beauchesne, directeur du patrimoine écologique et des parcs au MDDEP. Il y a beaucoup de travail qui se fait en amont, avant même le dépôt de la demande.»

«À Laval, on a détruit les plus beaux milieux humides, avec l'accord du Ministère, rétorque Guy Garand, du Conseil régional de l'environnement de Laval. Alors on se demande quel travail se fait en amont!»

Régime d'autorisation

M. Beauchesne rappelle que l'article de la Loi sur la qualité de l'environnement qui vise les milieux humides n'interdit pas leur destruction. «L'esprit de la loi, c'est un régime d'autorisation», dit-il.

Pour les biologistes, après des années de drainage intensif dans la vallée du Saint-Laurent, il est plus que temps de passer en mode protection pour ce qui reste, soit 20% de ce qui existait au départ.

«Ce n'est pas normal d'autoriser des travaux dans des milieux humides actuellement, ce devrait être l'exception, dit André Bouchard, professeur titulaire d'écologie à l'Université de Montréal et ancien directeur du Jardin botanique. Même s'il ne faut pas être dogmatique et faire des arbitrages.»

«En milieu urbain, on laisse toujours tout passer parce que les milieux humides sont trop petits, dit Coralie Deny, du Conseil régional de l'environnement de Montréal. Alors on perd ce qui nous reste. Mais du fait de leur rareté, ils prennent une valeur très importante.»

Point positif au tableau: la préservation de 400 des 650 hectares d'un marécage exceptionnel de Longueuil, le Boisé du Tremblay, montrée en exemple tant par M. Beauchesne que par les écologistes. Un exemple qui fait plutôt figure d'exception, pour l'instant.

«Il y a deux ans, on devait étendre l'exemple de Longueuil, dit Christian Simard, de Nature-Québec. À l'époque, sous Thomas Mulcair, c'était révolutionnaire. Mais ces réformes, on les attend toujours.»

Manque de transparence

Les militants écologistes critiquent en particulier le manque de transparence du MDDEP.

Impossible par exemple de savoir globalement quelles superficies ont été perdues. Après avoir parlé d'un «bilan annuel», le MDDEP a été incapable de le fournir à La Presse.

Impossible également d'avoir une idée globale des «compensations» obtenues de la part de promoteurs pour la perte de milieux humides, le cas échéant. À ce sujet, une source bien informée a affirmé à La Presse que ces compensations en argent servent rarement à acheter des milieux humides à des fins de conservation et finissent dans les coffres des municipalités.

Il faudrait pourtant que les autorités fassent un bilan, disent les écologistes. Sans cela, impossible d'appliquer la nouvelle «démarche», décrite dans un dépliant publié fin 2006.

En effet, les responsables du MDDEP affirment que, dans certains cas, le nouveau «processus d'autorisation repose sur une évaluation globale et territoriale du projet», pour mieux évaluer ses impacts sur la biodiversité.

Cette «évaluation globale et territoriale» s'applique par exemple dans le cas de tourbières. Et dans quatre cas, depuis le 1er janvier 2007, des travaux ont été autorisés dans des tourbières.

Elle s'applique aussi dans le cas de marais ou de marécages de plus de 5 hectares. Mais, dans la grande majorité des cas, le Ministère n'a pas indiqué les superficies affectées par chaque projet autorisé.

Délai raccourci

En revanche, ce qui ressort clairement, c'est l'accélération dans le traitement des demandes. Avant l'adoption de la nouvelle démarche, il se passait en moyenne 162 jours entre le dépôt de la demande et la délivrance du certificat d'autorisation. Depuis, le délai est passé à 121 jours, soit cinq semaines de moins.

Le volume de dossiers a aussi augmenté: 15 projets ont été autorisés en 2005, 25 en 2006, 53 en 2007 et 29 dans les six premiers mois de 2008.

Cette accélération inquiète, en l'absence de données plus complètes.

«Les autorisations passent tellement vite qu'on doute de la capacité du Ministère à bien examiner chaque demande, et encore plus à en faire un bilan», dit Tommy Montpetit, du Centre d'information sur l'environnement de Longueuil.

Selon M. Bouchard, on va regretter les milieux humides disparus, au point où on voudra les recréer. «Ça prend beaucoup de temps pour comprendre leur rôle, dit-il. On a des rivières passablement polluées et on a besoin de filtres. J'arrive des Pays-Bas, et ils sont en train d'en recréer. Je suis convaincu que dans les prochaines décennies, on voudra en faire autant. Alors qu'on a la chance de protéger les derniers qu'on a.»