Après 32 ans de combat, Brigitte Bardot a gagné. Le Parlement européen a officiellement fermé ses portes hier aux peaux de phoque, ainsi qu'aux huiles, sacs, gants de skieurs et boxeurs, pénis et gélules d'oméga-3 extraits de ce mammifère marin.

L'embargo, voté par 550 voix pour, 49 voix contre et 41 abstentions, entrera en vigueur au printemps 2010, juste avant la prochaine saison de cette chasse décrite comme «répugnante» et «cruelle» par le commissaire européen à l'Environnement, Stavros Dimas. Le vote a eu lieu 24 heures avant l'ouverture du sommet entre le Canada et l'Union européenne à Prague, une coïncidence due à «un hasard du calendrier» selon les médias européens.

 

Le texte de loi, qui interdit la mise en marché, mais pas le transit sur le territoire européen, prévoit deux exceptions. D'abord, il épargne les produits du phoque provenant de la chasse traditionnelle pratiquée par les communautés inuites, soit 3% des quelque 900 000 phoques abattus chaque année. La deuxième exception pourrait théoriquement être utilisée par le Canada, qui a haussé son quota d'abattage à 338 200 phoques en 2009. L'embargo européen accepte les produits du phoque ayant pour objectif «la gestion durable des ressources marines», ce qu'a toujours prétendu faire Ottawa. Cette chasse doit cependant être à but non lucratif, faire l'objet d'une législation dans le pays d'origine et être autorisée par la Commission européenne.

«Ça m'étonnerait beaucoup que ce soit accepté, dit Cezary Lewanowicz, attaché de presse au Parlement européen. Je vois mal comment le Canada pourrait avoir une chasse de masse sous le prétexte d'une chasse durable.»

Du côté d'Ottawa, un porte-parole de Pêches et Océans Canada a lui aussi exclu qu'on fasse appel à cette exception. «Notre chasse est la plus grosse au monde, c'est clair qu'elle est commerciale.»

Même son de cloche à la Fondation Brigitte Bardot, où l'on ne s'inquiète guère de voir le Canada utiliser ce trou dans la loi. «Cette exception s'adressait plus aux chasseurs scandinaves, aux Suédois, précise le porte-parole Christophe Marie, joint à Strasbourg, en France. Mais on y était quand même totalement opposés, car on considère que les stocks d'animaux sauvages n'ont pas à être régulés par l'homme.»

Brigitte Bardot, quant à elle, a déclaré à l'Associated Press être dans «un état un peu magique, sur un petit nuage». M. Marie préférait rester prudent devant cette victoire importante qu'il voyait poindre depuis plus de deux ans. «On n'est pas du genre à crier victoire et à faire la fête. C'est tant mieux, c'est très important, mais il y a bien d'autres combats à mener.»

Boycotter le foie gras?

Tant à Ottawa qu'à Prague, des membres du gouvernement Harper ont annoncé qu'on envisageait de traîner l'Union européenne devant les tribunaux (voir autre texte). Chez Nature Québec, on se disait hier «pas très surpris» de l'issue du vote final au Parlement européen, même si on espérait un résultat plus serré. Début mars, l'organisme avait posé un geste remarqué en appuyant les chasseurs de phoques et en demandant aux députés européens de ne pas bannir les produits de cette chasse.

«Lorsqu'une espèce a un niveau de population élevé, il peut y avoir un prélèvement important», explique Christian Simard, directeur de Nature Québec, estimant que les phoques tués lors de la chasse ont une souffrance équivalant «à celle qu'on retrouve dans une boucherie moderne.»

Aux Îles-de-la-Madeleine, le président de l'Association des chasseurs de phoques, Denis Longuépée, a dénoncé cette victoire des «abolitionnistes», ces militants dont le but ultime serait d'abolir toute forme de chasse, selon lui. «Ce que je trouve épouvantable, c'est que les gouvernements de 27 pays votent sur des arguments émotifs, sans regarder les faits. On parle de libre-échange avec l'Europe, et ils commencent par nous imposer un embargo. On devrait peut-être nous aussi boycotter le foie gras.»

Cet embargo s'ajoute à celui décrété par les États-Unis et le Mexique sur les produits dérivés du phoque. L'Europe, avec quelque 5% du marché, est un débouché marginal, mais sert de tremplin pour le lucratif marché asiatique. «On a une bonne nouvelle dans la mauvaise nouvelle, puisque le transit ne sera pas interdit», note M. Longuépée.

 

La chasse au phoque en chiffres

338 200 phoques abattus au Canada en 2009.

L'essentiel de la chasse a lieu à Terre-Neuve.

Aux Îles-de-la-Madeleine, quelque 400 chasseurs se partagent un quota de 19 500 phoques.

1462$ par chasseur: c'est ce que rapporte la chasse au phoque chaque année aux Îles.

Un phoque se vend en moyenne 30$.

900 000 phoques abattus chaque année dans le monde.

Outre le Canada, le Groenland, la Namibie, la Norvège et la Russie sont les principaux producteurs.