Les milieux de la restauration et de l’agriculture gourmande sont remplis d’histoires, de réflexions, de solutions. Une fois par mois, nous donnons la parole à ceux et celles qui font la richesse et la diversité des métiers de bouche du Québec.

Fin janvier 2020, nous assistions à un des repas d’adieu d’Anita Feng au restaurant Denise, dans Parc-Extension. La chef s’apprêtait à s’envoler pour la Chine. Vous devinez la suite… Deux ans plus tard, presque jour pour jour, Anita n’est toujours pas retournée dans le pays de ses origines. Elle n’a pas ouvert de restaurant. Elle nous accueille plutôt dans son joli comptoir-épicerie de la Petite Italie, J’ai Feng.

Premier service

  • La clientèle de J’ai Feng est curieuse et pose des questions sur les produits, au grand bonheur d’Anita Feng, qui souhaite avant tout offrir une vitrine sur la cuisine chinoise qui lui est si chère.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    La clientèle de J’ai Feng est curieuse et pose des questions sur les produits, au grand bonheur d’Anita Feng, qui souhaite avant tout offrir une vitrine sur la cuisine chinoise qui lui est si chère.

  • Les produits qui se trouvent sur les tablettes de J’ai Feng sont aussi ceux que la chef utilise le plus souvent dans sa cuisine.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    Les produits qui se trouvent sur les tablettes de J’ai Feng sont aussi ceux que la chef utilise le plus souvent dans sa cuisine.

  • J’ai Feng n’est pas un restaurant, mais on peut tout de même y prendre des petits plats préparés
par la chef, à emporter.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    J’ai Feng n’est pas un restaurant, mais on peut tout de même y prendre des petits plats préparés
par la chef, à emporter.

  • La trempette sèche et l’huile rouge sont deux produits maison très populaires à l’épicerie J’ai Feng.

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    La trempette sèche et l’huile rouge sont deux produits maison très populaires à l’épicerie J’ai Feng.

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« Au début de 2020, je voulais partir en Chine, continuer à apprendre plein de choses et, en revenant, ouvrir un restaurant. Mais je ne suis jamais partie, finalement. Quand on nous a dit qu’il fallait rester à la maison, comme bien d’autres, j’en ai profité pour faire plein de choses que je n’avais pas eu le temps de faire quand je travaillais au Candide, puis au Denise. Je ne suis pas de nature workaholic. J’aime bien ça, chiller. Et je n’étais pas pressée de passer au prochain projet. Mais à un moment donné, j’ai commencé à m’emmerder. Et là, il fallait que je trouve des choses à faire. J’ai étudié en design et j’aime beaucoup me renouveler, trouver de nouvelles idées, de nouveaux concepts.

« Pendant la COVID, j’ai été obligée de rester créative et j’aime ça. J’avais fait beaucoup de pop-ups avant de travailler au Denise, alors j’ai recommencé. Un des derniers que j’ai faits, au Cul-Sec, m’a permis de visiter l’espace d’à côté, où il y avait Monsieur Crémeux. Je suis allée le voir au moins cinq fois ! Au début, je pensais vraiment resto, resto, resto, mais le lieu s’y prêtait plus ou moins. Puis, je me suis demandé : est-ce que je suis vraiment obligée d’ouvrir un restaurant ? »

« C’est quoi, le but de ma démarche, dans le fond ? Pour moi, l’idée principale, c’est de parler de la cuisine chinoise. Peu importe le moyen, c’est ce que je veux faire. »

« Alors j’ai commencé à brainstormer et je me suis dit qu’une boutique-épicerie me permettrait encore plus de faire une belle vitrine à la Chine. Dans un restaurant, les gens ont souvent plein de questions, mais en cuisine, on rushe tellement qu’on n’a pas le temps de jaser. J’en suis venue à me dire que dans un restaurant, tu parles plus de toi-même que de la cuisine, des fois. »

Deuxième service

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

La fenêtre d’où l’ancien locataire, Monsieur Crémeux, pouvait servir ses coupes glacées, pourra être mise à profit pendant la belle saison.

« À une certaine époque, j’étais vraiment investie d’une mission. Je me demandais tout le temps pourquoi la cuisine chinoise était toujours perçue comme quelque chose d’un peu garroché. Est-ce qu’elle ne pouvait pas être aussi élégante que la cuisine japonaise ou la cuisine française ? Je voulais défendre cette idée-là et prouver que la cuisine chinoise pouvait aussi être raffinée. Ici, pendant longtemps, on connaissait surtout le chop suey et le général Tao. Avant je disais : “Ark ! c’est pas ça, la cuisine chinoise !” Mais il faut pas virer folle. Ces plats-là représentent une des nombreuses cuisines chinoises, celle qui s’est transformée en arrivant en Amérique. Mes recettes ne sont pas ultratraditionnelles non plus. Ce sont des saveurs et des méthodes traditionnelles, mais adaptées au goût du jour. Même en Chine, ça change. Et ce n’est jamais faisable de reproduire exactement. Les ingrédients sont différents, le climat est différent, l’eau est différente même. »

« Jusqu’à récemment, j’avais surtout exploré la cuisine sichuanaise. Mais je ne suis pas sichuanaise. Je suis cantonaise. Alors, j’ai commencé à me demander pourquoi j’exprimerais seulement cette région-là. La Chine, c’est tellement vaste et les cuisines communiquent beaucoup entre elles d’une région à l’autre. »

« Le soya, le vinaigre noir, le sésame, c’est partout dans la cuisine chinoise. Aujourd’hui, je suis beaucoup moins primée et puriste. »

Troisième service

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Au fond de l’épicerie, il y a un frigo contenant des petits plats à emporter.

« Au début, quand j’ai commencé à parler de mon idée d’épicerie, les gens étaient vraiment surpris. “Ah ouin ? T’ouvres pas un resto ?” Même mon chum et ma sœur ne comprenaient pas trop. Mais dans le contexte de la COVID, c’était un concept qui avait vraiment du sens. »

« Et qui sait ce que ça va devenir avec le temps ? C’est bien possible que l’épicerie soit éphémère, qu’elle se transforme. »

« Les premières semaines de J’ai Feng, les gens voulaient venir manger, réserver pour 10 personnes. Ils ne comprenaient pas le concept. Mais j’ai seulement quatre places assises au comptoir pour les personnes qui veulent manger le plat chaud de la semaine sur place. Quand c’est possible ! Puis, il y a des gens qui rentrent et se lancent tout de suite sur le frigo de plats à emporter. Les premiers jours, j’étais ben, ben motivée et j’avais préparé beaucoup trop de bouffe. J’étais habituée au rythme de la restauration. Le rythme ici est très différent.

« En fin de journée, les gens viennent pour le côté épicerie. Il y en a qui repartent avec cinq pots de mon huile rouge, d’autres qui veulent seulement une sauce soya. Avec la COVID, bien des gens ont commencé à cuisiner à la maison et à essayer toutes sortes de choses. J’ai eu l’opportunité de participer quelques fois à l’émission de Marina Orsini, Cinq chefs dans ma cuisine, et ça m’amène de la clientèle. Il y a des gens qui veulent reproduire les recettes, comme le mapo tofu de la semaine dernière. Ils entrent et me demandent : “Qu’est-ce que j’achète ?” Alors, je dirais que tout est bien tombé. Je suis bien chanceuse.

Regardez Anita Feng à Cinq chefs dans ma cuisine

« Comme je le souhaitais, il y a beaucoup d’échanges avec la clientèle. On a fait des petites fiches descriptives pour chaque produit, avec leur provenance et des exemples d’utilisation. Les gens prennent ça en photo et s’amusent à la maison. Il y a aussi des clients qui connaissent super bien la cuisine chinoise et viennent tout acheter. Certains me demandent même de faire rentrer tel ou tel produit moins facile à trouver. Peut-être que pendant l’été, je ferai des collabos avec des amis qui ont des fermes maraîchères, comme Parcelles et Le Rizen, qui fait pousser des légumes asiatiques. C’est stimulant.

« Dans ma vie, on dirait que c’est toujours quand ça va mal que ça débouche. À l’université, je faisais toujours mes travaux la veille, parce que j’étais plus créative. Il fallait que je fasse sortir quelque chose. Encore une fois, j’étais un peu arrivée au bout de quelque chose. Je me demandais ce que j’allais faire après mes pop-ups, en pleine COVID. Puis ça a donné J’ai Feng ! »

Consultez le site de J’ai Feng