Alors qu’on valorise plus que jamais l’achat local et la consommation de la ferme à la table, La Presse reprend la route cet été pour aller à la rencontre d’artisans et de travailleurs agricoles. Voici le quatrième portrait d’une série de six avec Sébastien Angers, de la Ferme de l’Odyssée.

« Je peux passer pour un flyé », convient Sébastien Angers.

À notre arrivée dans sa ferme de Sainte-Monique, dans le comté de Nicolet-Yamaska, il entre immédiatement dans le vif du sujet. « Je veux te parler d’agriculture régénératrice. C’est au cœur de tout ce que je fais. On priorise une plus grande biodiversité et la santé des sols », résume-t-il.

Sébastien Angers cultive à grande échelle les graines de citrouille que vous retrouvez dans les sacs de la collation Löka de la marque Prana.

En 2020, quand l’agriculteur s’est investi dans cette culture qui n’existait pratiquement pas au Québec — mais beaucoup en Autriche et en Asie —, il se remettait d’une période difficile.

Mais grâce à un partenariat avec Marie-Josée Richer, « dragonne » et cofondatrice de Prana, il a pu se lancer dans l’aventure des graines de citrouille. « Elle est importante, Marie-Josée ! Elle a financé ma première récolte », souligne-t-il.

En 2020, cette première récolte s’est faite… à la main ! Ensuite, Sébastien a pu mettre la main sur une récolteuse, si bien qu’il a pu produire rien de moins que six tonnes de graines de citrouille !

Des années auparavant, Marie-Josée et Sébastien avaient fait connaissance dans un marché public à Outremont.

« Nous étions voisins de kiosque », raconte Sébastien. À l’époque, il représentait les Viandes Rheintal. Mais quand il s’est séparé de la mère de ses deux filles, Guylaine Buecheli, c’est elle qui a pris la relève de l’entreprise de transformation, alors que lui est resté sur la terre.

J’ai vécu des années de grande vulnérabilité financière. Comme je le dis souvent, les agriculteurs sont un club de millionnaires cassés.

Sébastien Angers

Les terrains et les équipements des fermes valent des fortunes, mais la rentabilité est un défi perpétuel…

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Chaque plant de citrouilles en produit environ six.

Cette année, Sébastien Angers peut enfin souffler un peu. Il fait équipe avec trois fermes qui cultivent la même variété de citrouilles (différentes de celles en vente à l’Halloween). Et il peut toujours compter sur son troupeau de quelque 1100 porcs qui approvisionnent les Viandes du Breton.

Originaire de Saint-Wenceslas, Sébastien Angers a étudié en agriculture biologique au cégep de Victoriaville. Il a ensuite fait un baccalauréat en agronomie. Il a travaillé dans des fermes en Alsace comme en Saskatchewan et c’est un stage qui l’a mené à la terre qu’il cultive toujours et qui appartenait à son ancien beau-père.

Sébastien Angers a rebaptisé les lieux la Ferme de l’Odyssée. Outre les citrouilles, il cultive notamment du maïs et des tournesols. Lors de notre visite, ces derniers étaient en fleurs et les passants en voiture étaient nombreux à s’y arrêter pour les prendre en photo.

Les « corridors solaires »

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Les tournesols étaient en fleurs lors de notre visite.

Au milieu des champs, Sébastien Angers nous a expliqué la technique du « corridor solaire », qui consiste à planter du maïs sur seulement un rang sur deux. Si des agriculteurs y verraient une perte de la moitié du rendement, c’est plutôt davantage de soleil pour les plants, qui poussent si bien qu’on peut les planter plus près les uns des autres.

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Une rivière passe sur la terre de la ferme.

En agriculture régénératrice, la biodiversité est la clé. Sébastien Angers plante par exemple de la vesce velue pour que cette plante légumineuse crée un « couvert végétal ». « Juste pour nourrir le sol, et pas pour la récolter », précise-t-il.

Il applique aussi la technique du seigle roulé, qui donne une sorte de paille protégeant le sol. « La diversité des plantes crée un équilibre et on respecte le cycle de carbone naturel des sols », explique-t-il.

Trouver sa « route des fleurs »

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C’est pendant sa période difficile que Sébastien Angers a découvert les principes de l’agriculture régénératrice.

« J’étais comme le Penseur de Rodin, raconte-t-il. Quand tu es vulnérable, tu es immobile. Tu es à genoux, dans l’humilité et dans l’hypersensibilité, et en quête de vérité. »

Il a fait le constat qu’il prenait trop de risques comme agriculteur et il est allé à la rencontre de pionniers du no till farming aux États-Unis. « L’un de mes mentors est David Brandt », souligne-t-il.

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On doit la fresque de la ferme au muraliste Maxim Charland, alors que le logo inspiré des quatre éléments est signé Roxane Gariépy.

Sébastien Angers a aussi rencontré Steve Groff et Gabe Brown, en vedette de la série de Netflix Kiss The Ground, qui démontre comment la santé des sols peut combattre les changements climatiques.

Il a été fasciné par leur « minimum d’intervention ». Or, pour qui s’initie à l’agriculture régénératrice, la création d’un écosystème ne se fait par du jour au lendemain. « C’est un espace-temps. » Selon Sébastien, chaque agriculteur doit trouver sa « route des fleurs », soit les plantes qui lui permettront d’arriver à ses fins.

Pas si flyé ?

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Originaire de Saint-Wenceslas, Sébastien Angers a étudié en agriculture biologique au cégep de Victoriaville. Il a ensuite fait un baccalauréat en agronomie.

Sébastien Angers incarne parfois l’archétype du savant fou. Il cite Rodin comme Le petit prince, ainsi que l’approche d’innovation du design thinking.

Chose certaine, il pense que l’avenir de l’agriculture est dans le partage des idées. « C’est en équipe qu’on va trouver des recettes agronomiques », dit-il.

Sébastien Angers plaide aussi pour que les fermiers puissent avoir accès à la Bourse du carbone. Il croit également en la numérisation de l’agriculture. « Il y a un niveau de complexité d’interactions et il nous faut des données. »

Comme le nom de sa ferme l’indique, Sébastien Angers est dans une odyssée.

« Je suis un hors norme », dit-il. Mais peut-être que le temps finira par prouver le contraire.

Consultez le site de la Ferme de l’Odyssée