(Rimouski) Depuis l’an dernier, on peut manger des bourgots du fleuve en conserve, peu importe la période de l’année, grâce à l’entreprise Chasse-Marée. Nous avons rencontré les fondateurs Emmanuel Sandt-Duguay et Guillaume Werstink dans leur usine artisanale de Rimouski située au bord du Saint-Laurent, sur la route 132.

Le premier est né à Rimouski, le deuxième près de Paris, mais Emmanuel Sandt-Duguay et Guillaume Werstink étaient faits pour se croiser. Il aura toutefois fallu un détour au Viêtnam, où Emmanuel a d’abord rencontré celle qui allait devenir la mère des quatre enfants de Guillaume.

Ils sont ensuite devenus colocataires pendant leurs études à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), où est débarqué Guillaume dans le cadre d’un échange étudiant.

« Je n’avais aucune idée où j’allais atterrir. Quand on m’a dit Rimouski, j’ai dit OK sans savoir c’était où », raconte-t-il.

« Ça fait 20 ans déjà ! », lance son ami et associé.

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L’usine artisanale de Chasse-Marée est située au bord du Saint-Laurent, sur la route 132, à Rimouski.

C’est toujours au bord du fleuve Saint-Laurent à Rimouski que nous rencontrons le pêcheur et l’océanographe, pas très loin du quai où leur projet – devenu Chasse-Marée – est né en 2016.

À l’époque, une réception avait lieu pour la fondation de l’UQAR. Le chef Normand Laprise devait être présent et il a invité son amie Colombe St-Pierre. « Manu et moi nous sommes ramassés sur le quai avec eux. Ils nous ont exposé leur difficulté d’approvisionnement de produits du fleuve », raconte Guillaume.

« Ce fut l’élément déclencheur de notre projet », renchérit Emmanuel.

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Il n’existe qu’une seule façon de décortiquer le bourgot : à la main.

Au départ, Guillaume et lui ont créé un circuit de produits de la mer frais. « C’était bien, mais nous étions limités par la saison de pêche qui est très courte. »

Comment consommer des produits du fleuve toute l’année sans les congeler ? Pourquoi pas en les mettant en conserve, une tradition qu’on voit beaucoup en Europe ?

Mais ce n’était pas aussi simple que cela… « Cela a été un long chemin de croix avant d’arriver à ces petites boîtes de conserve », raconte Guillaume.

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La mise en conserve est une tradition qu’on voit beaucoup en Europe.

Des complications administratives inattendues

Colombe St-Pierre a dénoncé récemment la rigidité des autorités des organismes réglementaires. La cheffe qui fait la fierté du Bas-Saint-Laurent a été prise dans des dédales administratifs. Guillaume et Emmanuel aussi.

Juste avant la pandémie, les deux associés ont acheté la bâtisse où nous les avons rencontrés. Pour eux, c’était l’endroit rêvé à même le fleuve. Emmanuel pouvait passer en bateau devant et les produits pouvaient être mis en conserve sur place.

On leur a fait comprendre qu’un délai de deux mois était à prévoir avant d’obtenir les permis requis pour opérer en tant qu’entreprise de transformation de produits marins. Il faut savoir que le fédéral réglemente tout ce qui concerne la pêche, alors que la transformation relève du provincial.

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Préparation des casiers en vue de la pêche aux bourgots

Tel que le veut la procédure, un comité d’intérêt public – composé d’intervenants du milieu – devait recevoir leur demande et faire une recommandation au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).

Or, les deux entrepreneurs ont essuyé un refus. « Ce n’est pas étonnant quand tu consultes des compétiteurs, lance Emmanuel. Dans la réglementation, il n’y a pas de distinction entre une entreprise de 250 personnes et notre projet. »

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Chasse-Marée a remporté un prestigieux prix international pour le design de ses conserves aux ADC Awards.

Nous avons présenté notre projet neuf fois avant d’avoir des permis. Il a fallu 26 mois et faire beaucoup de démarches. Pendant ce temps-là, on payait une hypothèque et des assurances.

Emmanuel Sandt-Duguay, cofondateur de Chasse-Marée

Pour résumer, le projet de Chasse-Marée – plus artisanal qu’industriel – a été mal compris. « On ne voulait rien révolutionner et surtout pas abuser de la ressource. Juste faire des conserves. »

« C’est un produit de spécialité qui n’existait pas », dit aujourd’hui avec philosophie Emmanuel.

Tout est réglé, si bien que, depuis l’an dernier, Chasse-Marée commercialise trois parfums de bourgots : à l’huile de cameline, à la bisque de homard et à la saumure boréale. Les recettes ont été créées par les amis et chefs de renom Pierre-Olivier Ferry, Tommy Roy et Colombe St-Pierre.

Près de 20 000 premières conserves ont été produites l’an dernier, ce qui a valu à Chasse-Marée d’être finaliste au dernier gala des Lauriers de la gastronomie québécoise dans la catégorie du producteur de l’année. Il y a eu rupture de stock dès Noël, mais la production augmentera cette année.

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Le pêcheur Renaud Duguay, son fils Emmanuel Sandt-Duguay et Guillaume Werstink

La pêche dans le sang

Nous avons visité les installations de Chasse-Marée en avril dernier juste avant le lancement de la pêche aux bourgots.

« La première semaine de production commence la semaine prochaine si tout va bien, annonçait Guillaume. Je crois qu’Emmanuel est dehors en train de patenter les filets et préparer les casiers. »

Ce dernier a deux bateaux, Le Jaki et le Marco Polo. Il aime le rituel de la saison de pêche qui reprend. « Respirer l’air salin et retourner sur l’eau, c’est ancré en moi », dit-il.

J’ai toujours pêché. Mon père pêchait le homard à l’île d’Anticosti. Bébé, il me mettait dans une pan à poissons et plus tard, dès que je finissais l’école, j’allais le rejoindre.

Emmanuel Sandt-Duguay, cofondateur de Chasse-Marée

Bien justement, le paternel débarque… Renaud Duguay vient d’arriver de Boucherville, où sa femme et lui ont une maison (Emmanuel a par ailleurs fait ses études secondaires sur la Rive-Sud).

« Avez-vous passé un bel hiver ? », lance-t-il en débarquant de son véhicule.

À 73 ans, Renaud Duguay prépare encore son retour en mer dans l’estuaire. « J’ai un petit permis de pêche de flétan, indique-t-il. C’est un poisson très intéressant. »

« Ça prend des projets pour avancer », fait-il valoir.

Des projets, son fils Emmanuel et son associé Guillaume en ont plein la tête pour Chasse-Marée. Le titulaire d’une maîtrise en gestion des ressources maritimes et l’océanographe souhaitent valoriser des espèces plus méconnues du fleuve, dont les mactres de Stimpson et le sébaste.

Des chairs mésestimées, font valoir les deux amis depuis l’université.

On trouve les produits de Chasse-Marée dans près de 100 points de vente partout dans la province. Dans des commerces comme Veux-tu une bière à Montréal, Les Minettes à Laval, La Rumeur Affamée à Sutton ou encore l’épicerie La Locale à Québec.

Consultez le site de Chasse-Marée