L’humoriste et animateur est venu nous raconter en quoi le plat traditionnel occupe une place prépondérante dans son histoire personnelle et familiale.

Michel Barrette ne tourne pas autour du pot de ketchup : il revendique fièrement sa nostalgie des Noëls d’antan, avec ses immenses tablées, ses lumières et ses clichés, le tout célébré sous le ciel étoilé de Chicoutimi. « Pour moi, Noël, c’est les grandes familles réunies, l’arbre décoré, les cadeaux qu’on a brassés pendant des semaines pour deviner ce qu’ils contiennent, les mononcles qui partent un peu chauds à la messe de minuit, matante Monique éméchée qui se laisse aller à ses tendances exhibitionnistes, ma grand-mère devenant émotive d’être si bien entourée. C’est comme un film de Noël qui fait du bien à l’âme. Sans oublier mononcle Paulo déguisé en père Noël, les plus jeunes faisant semblant de ne pas le reconnaître, alors qu’il sentait la boisson en ta ! », liste en vrac l’artiste.

Et s’il y a bien un fumet capable de le catapulter dans les années 1950, c’est sans nul doute celui qui embaumait pendant des heures la maisonnée, véritable fleuron régional du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Et non, ce n’est pas le temps d’une dinde.

On est très fiers de venir de là, et une partie de cette fierté passe par la tourtière.

Michel Barrette

« Ce n’est pas seulement celle de ma grand-mère, mais celle de nos grands-mères, grands-pères, mères et pères… », souligne Michel Barrette, qui aime la dimension collective de cet héritage. « Je ne pense pas que beaucoup de dames fassent ça seules, c’est quand même laborieux, il faut acheter les viandes – bœuf, veau, porc –, les couper, les laisser mariner, les carrés de pommes de terre doivent avoir une taille précise, ni trop gros ni trop petits, préparer la pâte, etc. », lance-t-il. Dans sa famille, son père s’occupait des viandes, tandis que sa mère s’attelait aux pommes de terre, avant que tous deux ne se lancent dans la préparation de la pâte feuilletée, ensemble.

Une question d’approbation

De longues heures de préparation qui aboutissent à des parfums à jamais gravés dans les mémoires olfactives et gustatives des petits et des grands. « Cette odeur déclenche immédiatement un million d’images », assure-t-il. Cette fierté nostalgico-gastronomique, revendiquée à cor et à cri, l’homme a choisi de la diffuser au-delà d’un cercle familial déjà large. En collaboration avec une entreprise du Saguenay–Lac-Saint-Jean, il est devenu le porte-étendard d’une tourtière commercialisée à grande échelle.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Pour Michel Barrette, la tourtière concentre des milliers de souvenirs familiaux.

Notre « Hi ! Ha ! Tremblay » est venu en personne nous présenter la bête grassouillette, qui a reçu le sceau de son approbation. Et pourtant, tout comme son grand-père Jean-Marie, Dieu sait qu’il a le souci du détail. Justement, en se penchant sur le plat, quelque chose semble le chicoter.

« Si ma mère l’avait préparée, on aurait vu une trace de fourchette au centre. Elle se levait en pleine nuit, deux heures avant la fin de la cuisson, pour y faire un trou, s’assurer qu’elle ne soit pas sèche et ajouter, au besoin, de l’eau ou du bouillon de bœuf », se souvient-il. À part ce stigmate manquant à l’appel, les arômes invoquent quand même ses tourtières de naguère.

Michel Barrette a beau être humoriste, dans la famille, on ne rigole pas avec la recette.

« Quand la tourtière sortait du four, on y goûtait, et ma mère attendait toujours le premier commentaire, parce qu’il y avait toujours la peur de la rater. Ça sonne un peu années 1950, mais c’était mon père qui donnait son approbation. Il disait : “En tout cas, elle est bonne, ta tourtière”, alors qu’il l’avait préparée autant qu’elle, et si c’était raté, ça signifiait que c’était aussi son échec ! », dit-il en riant.

Crime de lèse-majesté

Heureusement, année après année, le plat traditionnel était systématiquement à la hauteur. Sauf une fois. Après avoir mordu dans la tourtière de la grand-mère Asselin, l’enthousiasme de la tablée de goûteurs s’est aussitôt mué en mines déconfites. Grand-maman ne récoltant pas les éloges habituels, l’aînée s’est elle-même servi un morceau… pour le recracher aussitôt ! « Tout le monde s’est tourné vers mononcle Yvan l’innocent, le malcommode de la famille Asselin, parce que ça lui ressemblait tellement. La veille, il avait interverti le sucre et le sel dans les pots, se croyant drôle. Il a scrappé Noël ! On a refait une tourtière, mais pendant ce temps, ils ont attaché Yvan avec de la corde, comme le barde dans Astérix, pendant les banquets ! », badine Barrette.

Autre crime de lèse-majesté à esquiver sous peine de déclencher le courroux des cuisiniers familiaux : ouvrir le réfrigérateur pour saisir un pot de ketchup industriel. « Tu as droit aux bettes, aux cornichons et même au ketchup maison ; ça, c’est correct, parce que tu as mis l’effort. Mais si tu prends le ketchup commercial, c’est l’insulte suprême pour ma grand-mère et ceux qui ont travaillé fort pour la tourtière. Tu vas te retrouver dans le banc de neige », prévient-il.

Jamais sans ma tourtière

Ces dernières années, Michel Barrette et sa conjointe ont passé Noël bien loin de Saguenay, s’offrant du soleil, du sable et de douces températures. Pourtant, dans ce tableau californien idyllique, subsistait un hic. « On était là, avec notre belle maison louée, le ciel bleu de Palm Springs, la piscine et les palmiers à la bonne place. Mais il manquait une chose. Ma blonde m’a lancé : “Tu penses à la même chose que moi ?” Je l’ai regardée en retour et tout de suite répondu : “Une tourtière !” »

Déguerpissant au galop chez le boucher, le couple exigeant les viandes et les coupes dont il avait besoin – face à un commerçant un peu intrigué, le mot tourtière n’ayant évidemment jamais fait partie de son vocabulaire. Et les voilà installés au comptoir de cuisine, à confectionner la pièce manquante de leur bonheur des Fêtes. « On trouvait drôle d’être en Californie et que ça sente comme dans la maison de grand-maman. Mais cette année, je serai à la maison ! », promet-il.

PHOTO FOURNIE PAR VIANDOMAX

Tourtière du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Viandomax, 31,99 $, offerte dans la plupart des épiceries et au Costco.