Il n’y a pas une, mais DEUX paires de frères Roy qui font du vin au Québec. Et pas n’importe quels vins : les envoûtantes cuvées de Clos sur-Vivant et les plaisants pinards de Mâsson-Villages.

« Il faut que vous goûtiez à ça », avait lancé la sommelière Vanya Filipovic, bouteille à la main et voix teintée de mystère. L’étiquette de cet Aglyphe 2018 était hypnotisante, ornée d’une couleuvre qui se cache dans une végétation graphique. Et le jus (rouge) dans le flacon : d’une sensualité rare.

La copropriétaire de Vin mon lapin qui, à l’époque, s’occupait encore de la carte de Vin papillon, venait de découvrir le domaine québécois Clos sur-Vivant et elle tenait à partager l’excellente nouvelle.

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Il n’y a qu’un hectare et quart de vignes au Clos sur-Vivant. Ici, Nicolas Roy.

Trois ans plus tard, chez Vin Mon Lapin, on goûtait à une autre cuvée de ce tout petit vignoble étonnamment toujours aussi confidentiel, situé à Saint-Charles-de-Bellechasse, sur la rive-sud de Québec. Le même enchantement s’était produit. Puis une troisième fois plus récemment, à la dégustation d’une bouteille de la cuvée Bagnard 2021.

Il était temps de se rendre sur place pour élucider le mystère de ces cuvées de radisson si particulières et de leurs discrets auteurs. On ne sait pas trop à quoi ni à qui on s’attendait – peut-être des sorciers de la grappe ! –, mais ce qu’on trouve à Saint-Charles-de-Bellechasse est un très accueillant gaillard, devant son chai cubique tout neuf, adjacent à un bâtiment de ferme, entouré de champs de maïs, au bord de la route 279.

  • Flo 2019, une cuvée à base d’osceola muscat qui a très bien vieilli

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    Flo 2019, une cuvée à base d’osceola muscat qui a très bien vieilli

  • Les 2021 de Clos sur-Vivant, dont Bagnard, à gauche complètement

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    Les 2021 de Clos sur-Vivant, dont Bagnard, à gauche complètement

  • Punch est la toute première cuvée de Clos sur-Vivant, en 2017.

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    Punch est la toute première cuvée de Clos sur-Vivant, en 2017.

  • Les frères Roy ont construit leur chai avec du bois de la terre voisine.

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    Les frères Roy ont construit leur chai avec du bois de la terre voisine.

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Derrière les rangs de maïs, il y a une de plusieurs petites parcelles. Celle-ci contient du radisson, cépage choisi parce qu’il poussait bien depuis des années chez le voisin, le Domaine Bel-Chas, et trois cépages blancs : bel-chas, frontenac et osceola muscat.

Croissance contrôlée

Avec environ 4400 plants de vigne âgés entre 4, 7 et 14 ans (les premiers raisins n’étaient pas vinifiés), pour une surface d’un hectare et quart, peut-être, le projet est minuscule. Et les frères Jeff et Nicolas Roy n’ont pas l’intention de grossir beaucoup.

« On veut vraiment rester tout petits, garder le contrôle et miser sur la qualité. On replanterait peut-être 1500 vignes pour éventuellement atteindre une production annuelle d’environ 10 000 bouteilles, mais pas plus. » À titre comparatif, Pinard et filles et Les Pervenches produisent autour de 20 000 bouteilles chacun.

PHOTO FOURNIE PAR CLOS SUR-VIVANT

Nicolas et Jeff Roy font du vin pour s’amuser avant tout.

Il faut dire que Nicolas doit se débrouiller sans son frère Jeff la majorité du temps. Ce dernier habite à Berlin, où il est caviste depuis 10 ans. Il vient au Québec deux fois par année, pour la taille printanière et la vinification automnale. Le reste du temps, Nic est aidé par son père cultivateur. Papa de deux jeunes enfants, le vigneron travaille aussi comme suppléant dans les écoles de Québec.

Le premier millésime commercialisé à plus grande échelle par Clos sur-Vivant était le 2021, avec 1500 bouteilles. Étonnamment (tuyau !), on en a trouvé quelques bouteilles récemment chez Veux-tu une bière, succursale de l’avenue du Parc, à Montréal. En 2022, une maladie fongique a décimé une partie du raisin, mais les frères ont quand même réussi à produire environ 1200 bouteilles.

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Les filets protègent le raisin des oiseaux et des ratons laveurs.

Au terme de la visite, on comprend que Clos sur-Vivant n’a pas de recette magique. Il a les mêmes défis que les autres vignobles québécois, entre humidité excessive, ratons laveurs et gels potentiels. Aucun équipement ou contenant « spécial » ne se cache dans le chai.

S’il y a une marque de commerce ici qui pourrait expliquer la sensualité incroyable que l’on retrouve dans les vins (rouges surtout), ce serait sans doute la volonté de tout faire de la manière la plus artisanale et naturelle possible. Le bois avec lequel le chai a été construit provient de l’épinette blanche du voisin. Les étiquettes colorées sont des œuvres originales de Nicolas. Aucun des vins n’a connu l’ajout de soufre.

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Nicolas Roy ne travaille avec aucune machinerie ni aucun contenant magique dans son chai !

On travaille en grosse simplicité. On y va beaucoup au feeling. On n’a pas tant que ça de ligne directrice. On veut garder nos belles levures sauvages et on travaille surtout les macérations. Je pense qu’au Québec, c’est beaucoup là que ça se joue.

Nicolas Roy, du Clos sur-Vivant

Les Roy ont testé une foule de techniques, que ce soit la presse directe, la macération carbonique classique, l’infusion de baies entières dans les moûts, la « lasagne » (macération par succession de couches de raisin en grappes entières et de raisin égrappé). Et ils n’ont pas fini de s’amuser !

On trouve quelques cuvées 2022 (et des plus anciennes) sur le marché présentement, à la boutique Les Minettes (Sainte-Rose) et dans quelques restaurants, comme Candide, Denise, Mon Lapin, Pullman et, à Québec, Ambre, Battuto et ARVI.

Entre Montréal, Berthier et Dunham

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Les frères Simon et Mathieu Roy, de Mâsson-Villages, sur la terrasse du Café Lézard, rue… Masson !

Grâce aux « Minettes », épicerie œnophile de Sainte-Rose, on a appris qu’il y avait une autre paire de frères Roy qui s’intéresse à la vinification, cette fois à Montréal. Nous rencontrons Simon et Mathieu, de Mâsson-Villages, au Café Lézard, sur la Promenade... Masson. La propriétaire du resto, Rachel Chevalier, est férue de vins d’auteur. « C’est la première à nous avoir confirmé qu’on produisait quelque chose de buvable ! », lance Mathieu Roy.

Les frères Roy sont tombés sous le charme des vins naturels vers 2006, à l’ouverture du défunt Moine Échanson, à Québec. « On y buvait des chardos et des pinots noirs qui ne goûtaient pas du tout ce que ça goûtait normalement et ça nous fascinait », raconte Mathieu Roy, qui travaille comme concepteur/rédacteur en publicité. « Parallèlement, j’essayais des vins québécois et je me demandais pourquoi je ne trouvais jamais rien à mon goût. »

Simon, infirmier de profession, s’est imaginé chouchouter des vignes tandis que son frère mettrait en application sa connaissance sans cesse grandissante des cépages hybrides. Au printemps 2023, ils ont planté 4200 pieds de vigne. « Tout le monde nous l’a dit : “Ne plantez pas plus qu’un hectare la première année.” On a écouté. »

Cette première parcelle à Dunham contient du chardonnay, du pinot noir et du cabernet franc, un peu d’hybride rustique « roland » et quatre cépages « Piwi » (de l’allemand « Pilzwiderstandsfähige », qui veut littéralement dire « capable de résister aux champignons ») : johanniter, helios, monarch et regent.

En attendant que les vignes naissantes donnent du beau raisin, dans quelques années, le tandem se concentre sur Mâsson-Villages, son étiquette de vins de négoce. Le nom est un jeu de mots à partir de l’appellation bourguignonne Mâcon-Villages.

Mathieu et Simon Roy ont d’abord expérimenté façon « garage », en plein Rosemont. Puis ils ont trouvé un collaborateur à Sainte-Geneviève de Berthier, Le Vignoble du vent maudit. C’est là qu’ils achètent leur raisin et font leurs vinifications.

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Les cuvées portent des noms de lieux du quartier Rosemont.

Leurs cuvées, lancées officiellement au printemps 2023, portent des noms de lieux du quartier où ils habitent depuis longtemps : Monaco, Nouveau Rosemont, Pélican, La ligne rose, Canada hot-dog, Masson hot-dog, etc.

« La conclusion à laquelle on arrive après nos expérimentations et après avoir échangé avec plein d’autres vignerons québécois, c’est que les hybrides sont meilleurs en assemblage et qu’il ne faut pas hésiter à marier les rouges avec les blancs, à travailler les marcs, déclare Mathieu Roy. Au Québec, on est plus que jamais en train de se donner la peine de comprendre ce qui fonctionne le mieux ici. »

Les vins de Mâsson-Villages sont dans plusieurs épiceries et restos, dont le Café Lézard, Candide, vinvinvin, Les Minettes, Saison des pluies, Les Petites Bonnevilles (Saint-Jean-sur-Richelieu) et Côté Est (Kamouraska).