(Paris) Arracher définitivement des vignes ? Avec une consommation en berne et de nombreux vignerons ne trouvant pas de repreneurs à l’âge de la retraite, certaines régions viticoles évoquent de plus en plus cette solution, un « crève-cœur » qui reste loin de faire l’unanimité.

Le Bordelais a ouvert la porte en engageant en 2022 un plan subventionné d’arrachage sanitaire.

Entre le désamour croissant pour le vin rouge, les difficultés d’exportation vers la Chine et les États-Unis, la COVID-19 et l’inflation, les difficultés économiques se sont empilées. Des vignerons, faute de moyens pour entretenir des parcelles, les ont simplement abandonnées.

Or ces vignes en friche « peuvent devenir des foyers de contamination », explique Bernard Farges, président du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB).

Cet organisme cofinance avec l’État et la région le plan de 57 millions d’euros, qui offre 6000 euros (8600 $) à l’hectare arraché.

Il faudrait idéalement faire repartir à la hausse la consommation de rouge, mais « à court terme, il n’y a pas 50 solutions, il faut recalibrer notre potentiel de production », affirme Bernard Farges.

Recourir régulièrement à des subventions pour détruire les excédents (la distillation de crise), « c’est de la gabegie », estime le responsable.

Arrachage social

Bourgogne, Champagne, Alsace, Vallée de la Loire ou Beaujolais : certains bassins viticoles se portent bien. Mais d’autres régions en difficulté se résignent peu à peu à l’arrachage définitif.

Le syndicat des vignerons des Côtes du Rhône a ainsi demandé en 2022 des aides en ce sens, mais n’a pas souhaité utiliser des fonds de l’interprofession pour les cofinancer, explique son président Denis Guthmuller.

Pour lui, il faut envisager ce dispositif « sous un angle social, pour les viticulteurs en âge de prendre leur retraite qui ne trouvent pas de repreneur pour leur foncier ».

Le sujet « reste très délicat à aborder », observe pour sa part Christophe Bousquet, président du Conseil interprofessionnel des vins du Languedoc (CIVL).

Sa région a déjà connu des campagnes d’arrachage dans les années 1980 puis 2000.

« Chaque fois, c’est un crève-cœur, un constat d’échec », dit-il. Et « si on ouvre la boîte de Pandore, est-ce qu’on va voir une ruée parce que le prix proposé serait intéressant ? Certains ne vont-ils pas en profiter pour planter plus en voyant le collègue partir ? »

Il n’écarte pas complètement l’arrachage définitif, mais « dans certaines conditions et dans certains endroits ciblés », et il prône avant tout un accompagnement à la retraite.

À la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à Appellations d’origine contrôlées (Cnaoc), « on parle de l’arrachage depuis quelques années », indique son président Jérôme Bauer. « Au départ on était assez isolé, mais certains ont fait un bout de chemin vers cette réalité. »

Le constat est simple, dit-il : la consommation de vin baisse.

Selon l’établissement public FranceAgriMer, la consommation par habitant de plus de 14 ans dans le pays a baissé de 67 % depuis 1960, à 45 litres par an.

Inverser ce déclin ? « Illusoire », répond Jérôme Bauer. Doper les ventes à l’étranger ? « L’Espagne, l’Italie, mais aussi l’Australie ou l’Argentine, sont plus compétitives ». Baisser les rendements ? « Une solution ponctuelle ».

Fatalité

« On a une crise plus structurelle, avec une vague de vignerons qui doivent partir à la retraite dans les 5 à 10 ans sans forcément trouver de repreneurs », dit le responsable en plaidant pour une solution « pérenne ».

Il existe des aides à la commercialisation, à l’investissement ou à l’irrigation, mais pas encore d’aides dédiées à l’arrachage définitif.

Certains restent farouchement opposés à l’idée, comme le syndicat agricole Modef.

Le problème vient surtout du fait que, depuis 2016, la surface viticole peut être augmentée de 1 % chaque année, a dénoncé fin septembre son secrétaire général, Didier Gadea. Il réclame plutôt des prix planchers garantis par l’État.

Jérôme Despey, à la tête du conseil spécialisé des vins de FranceAgriMer, ne veut pas « se résigner à la fatalité de la baisse de la consommation ».

On peut « l’enrayer » en parlant autrement du vin, en s’adaptant aux consommateurs et en poussant les restaurants à baisser les prix des vins proposés, affirme-t-il.

On peut aussi « repartir à la conquête des exportations » en s’unissant sous la marque « France » plutôt que par grandes appellations, avance-t-il.