La Vallée du Moulin semble surgir tout droit d’un film de science-fiction. Au milieu d’une érablière, d’une miellerie et d’un verger, plusieurs variétés de figuiers poussent dans des serres de haute technologie alimentées en partie par une petite centrale hydroélectrique privée.

Non, cette petite oasis n’est pas le fruit de l’imagination de James Cameron ou de J.J. Abrams. Elle est plutôt née d’un rêve patiemment cultivé d’abord par Serge Proulx et ensuite partagé par ses quatre enfants. Après des années de labeur, cette famille tissée serré a accueilli cet été ses premiers visiteurs dans une bâtisse digne d’un vignoble, à Melbourne, en Estrie.

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La Vallée du Moulin accueille depuis peu des visiteurs sur place.

Depuis la mi-juillet, les amateurs de savoureuses découvertes peuvent se délecter d’une quinzaine de sortes de figues fraîches, cultivées juste de l’autre côté du chemin. Ces fruits emblématiques du bassin méditerranéen sont accompagnés de tartinades, de pâtes et de gelées mitonnées par l’aînée Mylène.

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Tartinades, pâtes et gelées sont aussi au programme dans la boutique.

Ses ingrédients de base ? Le miel et le sirop d’érable produits à côté du verger par sa sœur Marie-Michèle et son frère Étienne. Le tout cultivé dans les règles de la culture biologique et offert sous le signe d’une hospitalité familiale.

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Serge Proulx, entouré de ses quatre enfants : Anne-Marie, Mylène, Étienne et Marie-Michèle

« Cela ne m’intéresse pas d’accueillir 200 personnes à la fois. Je veux recevoir des groupes de 15 ou 20 personnes maximum pour qu’ils prennent le temps de découvrir cet endroit merveilleux », confie le père, Serge, ingénieur à la retraite et touche-à-tout invétéré.

Car Serge Proulx n’est pas agriculteur. Ce Sherbrookois de 67 ans a bâti sa carrière dans la construction de barrages hydroélectriques en Asie, en Amérique du Sud et dans l’est du Canada.

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Serge Proulx a acquis en 1998 cette gorge où se trouvait un barrage, mais où tout était à l’abandon.

Le projet d’une vie

En 1998, ce visionnaire a acquis cette gorge bucolique où, jusqu’au milieu du XXe siècle, pêcheurs et baigneurs des environs venaient profiter de l’eau claire de la rivière au Saumon. À la fin des années 1960, une source de pollution industrielle en amont a forcé la fermeture du lieu et l’arrêt de la station de pompage de Richmond. Tout était à l’abandon depuis ce jour.

Dès l’acquisition du barrage et de 230 acres de la vallée, Serge Proulx a entrepris une lente réhabilitation des lieux. Il a d’abord reconstruit le barrage pour aménager une jolie centrale électrique aux allures de moulin d’antan. Une seconde centrale, tout aussi coquette, a suivi en 2012. Mais que faire ensuite ? se demandait l’ingénieur encore il y a une dizaine d’années.

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Un projet, oui, mais lequel ? Et pourquoi pas des figues ?

« Serge voulait créer un lieu inspirant aux abords de la rivière. Il songeait à construire des serres et utiliser l’électricité des centrales. Mais, dans sa tête, il n’était pas question de tomates et de concombres », se remémore sa fille Anne-Marie, la première des enfants Proulx à sauter dans l’aventure. Le reste de la fratrie s’est joint peu à peu à l’entreprise.

Le déclic s’est produit en 2016 lors d’un voyage en Bretagne, où Serge Proulx a découvert la culture de la figue.

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C’est le projet d’une vie pour Serge Proulx !

C’était à mes yeux le produit exclusif parfait, car [la figue] supporte mal le transport : elle arrête de mûrir dès sa cueillette et elle commence à dépérir avant son arrivée. En faire la culture ici nous procurait donc un avantage.

Serge Proulx

Mais comment faire pousser, à des coûts raisonnables, ce fruit qui s’épanouit normalement sous le ciel méditerranéen ? La solution résidait dans des serres à haut rendement énergétique, alimentées en partie par la centrale électrique, imaginées par Serge Proulx. « Je n’ai rien inventé, précise-t-il avec modestie. J’ai simplement bien assemblé les pièces du casse-tête. »

  • Les serres de la Vallée du Moulin sont à la fine pointe de la technologie.

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    Les serres de la Vallée du Moulin sont à la fine pointe de la technologie.

  • Tout a été minutieusement pensé pour que le rendement de ces serres soit optimal.

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    Tout a été minutieusement pensé pour que le rendement de ces serres soit optimal.

  • Plusieurs variétés de figues sont cultivées sur place.

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    Plusieurs variétés de figues sont cultivées sur place.

  • Vue aérienne des élégantes serres aux toits en chapelle

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    Vue aérienne des élégantes serres aux toits en chapelle

  • Tout est alimenté par l’électricité produite à même la vallée.

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    Tout est alimenté par l’électricité produite à même la vallée.

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Merveilles de technologie

Les serres de la Vallée du Moulin sont des laboratoires technologiques. La température, la gestion de l’humidité, l’irrigation, la fertilisation, la ventilation et l’éclairage y sont constamment surveillés par un système de gestion de contrôle du climat, alimenté par l’électricité produite à même la vallée.

Les eaux de pluie et de la fonte de la neige sont récupérées pour l’arrosage des plants. Un système en circuit fermé permet d’ailleurs de récupérer l’eau et les fertilisants pour être réutilisés ultérieurement.

Chauffés par un système radiant intégré à ses planchers et ses demi-murs, les élégants bâtiments aux toits en chapelle bénéficient d’une isolation supérieure grâce à des murs brise-vent et à des cloisons à double paroi. Selon la température extérieure, leur chauffage est assuré soit par quatre fournaises à biomasse forestière, soit par une fournaise à gazéification.

L’une des serres est équipée de thermopompes industrielles pour permettre sa déshumidification avec un minimum de perte de chaleur latente. Au besoin, elle sera également chauffée par ces thermopompes.

En comparant les données énergétiques de chaque serre, nous pourrons ainsi déterminer dans un proche avenir quelle source d’énergie est à privilégier selon la température extérieure.

Serge Proulx

L’hiver dernier, les coûts de chauffage des trois serres, d’une superficie totale de 20 000 pieds carrés, se sont limités à 21 000 $. Une simple génératrice de 20 KW suffit à combler les besoins des serres en cas de panne de courant de longue durée.

Dans les premières ébauches de conception, Énergir avait pourtant évalué à 100 000 $ les coûts de chauffage en gaz naturel. « Pour une superficie deux fois moindre », précise l’ingénieur.

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La culture nordique de la figue biologique en serre serait une première au Québec.

La Vallée du Moulin est un lieu d’expérimentations. Tant au chapitre de l’optimisation de l’énergie que dans la culture nordique de la figue. À leur connaissance, personne n’a encore produit de figues biologiques en serre au Québec, souligne Anne-Marie Proulx. Quelle variété choisir ? Comment contrôler leur croissance pour maximiser l’espace de la serre ? Tout est à inventer, convient-elle.

Mais la figue n’est pas une fin en soi. Elle n’est qu’une pièce dans le grand projet de la famille Proulx. Ultimement, la Vallée du Moulin incarnera pour longtemps le bonheur de vivre ensemble et l’autosuffisance alimentaire dans le respect de l’écologie. « Imagine le beau jardin que tout cela deviendra dans 25 ans », glisse Serge Proulx, le regard sur la vallée.

Consultez le site de la Vallée du Moulin

Une variété de saveurs

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Une quinzaine de variétés de figues sont cultivées ici.

La figue fraîche généralement connue des Québécois s’appelle la Black Mission, mais il en existe quelque 800 variétés à travers le monde. La Vallée du Moulin en cultive une quinzaine, comme la Violette de Bordeaux, la Texas Everbearing ou encore la Chicago Hardy. Si certaines sont charnues, parfois croquantes, d’autres présentent une chaire tendre ou fondante, un goût fruité, floral ou boisé.

Les serres de Melbourne comptent actuellement 2500 figuiers, mais leur production est encore minimale, puisqu’un plant doit croître pendant cinq à sept ans avant de fleurir. La récolte débute à la mi-juillet pour s’étendre jusqu’à la fin de septembre.

Une figue se conserve de trois à quatre jours à la température ambiante et environ une semaine au réfrigérateur à l’air libre.

La Vallée du Moulin ne possède pas de points de vente. Ses barquettes de figues ne sont vendues qu’aux visiteurs. Il est cependant possible d’en réserver sur son site internet et d’aller y ramasser sa commande à un moment convenu à l’avance.