Notre journaliste se balade dans le Grand Montréal pour parler de gens, d’évènements ou de lieux qui font battre le cœur de leur quartier.

« C’est monsieur Jubinville », nous dit Tony Di Lallo alors qu’un homme et son fils entrent dans le restaurant de Ville-Émard comme si c’était leur deuxième maison.

« Dilallo, c’est quoi, ça ? », blague Arthur Jubinville. « Je viens toutes les semaines depuis des années », indique plus sérieusement l’homme de 91 ans.

Le client fidèle n’a même pas besoin de commander. Les serveurs savent qu’il veut un fish burger coupé en deux avec le double de sauce tartare.

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Arthur Jubinville et son fils Jean jasent avec Tony Di Lallo dans le restaurant du 2851, rue Allard.

« M. Jubinville est même le premier client qui a eu le t-shirt avec le fameux burger à l’envers », souligne Giuseppe « Joe » Maselli, qui fait pratiquement partie de la famille Di Lallo (et qui a pris la relève de Tony il y a plusieurs années en lui achetant ses parts).

« Joe, c’est l’enfant de chœur que mon frère Louis a ramené de l’église pour lui montrer comment faire des hamburgers. Et aujourd’hui, il est propriétaire », dit fièrement Tony.

« J’ai commencé à couper des oignons et des tomates le samedi et dimanche matin à l’âge de 8 ans. J’ai été serveur, à la friteuse… et je suis même devenu leur comptable », poursuit Joe.

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« Je suis le bébé de la famille », dit Tony Di Lallo, qui a perdu son frère Louis en 2018.

« J’essaie de tougher la run pour être là pour le 100e anniversaire », lance Tony, du haut de ses quatre-vingt-deux ans « et demi ».

Ouvert en 1929, Dilallo Burger fait partie des restaurants familiaux importants de Montréal qui ont su trouver de la relève.

Récemment, on annonçait la fermeture du Main Deli, et la Montreal Gazette rapportait que le propriétaire de Momesso, le célèbre café sportif du chemin Upper Lachine, désirait vendre. Ce dernier a par ailleurs contacté les propriétaires du Dilallo dans l’espoir (vain) qu’ils reprennent le flambeau, nous dit Joe Maselli, qui a deux partenaires, dont Louis Di Lallo (le neveu de Tony).

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Dilallo a ouvert en 1929, un an après le Schwartz et trois ans avant le Wilensky.

Depuis 1929 dans Ville-Émard

Comme beaucoup d’Italiens d’origine albanaise, Luigi et Josephina Di Lallo ont élu domicile dans Ville-Émard. Ils vivaient derrière le commerce avec leurs sept enfants. « Avant d’être un restaurant, c’était un dépanneur », souligne Tony, le petit dernier de la famille.

Quand son frère Louis a fait un sandwich à l’improviste à un client qui demandait quelque chose à manger, son père a flairé la bonne affaire. Il allait vendre ce qu’il faisait de mieux : des burgers. « Il faisait une affaire, mais il la faisait comme il le faut », dit Tony.

Son secret : le piment fort récolté dans son jardin. « Mon père n’était pas grand comme moi. Dans le jardin, on ne le voyait pas, tellement les plants étaient hauts », raconte son fils qui vient par ailleurs de congeler sa récolte.

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Le fameux Buck Burger est toujours servi à l’envers pour faciliter sa mise en bouche. À l’intérieur : bœuf, capicollo, fromage, piments forts, relish, moutarde, oignons, tomates et laitue.

Quand le hockey s’invite dans les hamburgers

Le Dilallo, c’est une histoire de burgers, mais aussi de hockey. En 2007, Ken Dryden (légendaire gardien de but du CH) a même parlé des burgers du restaurant de la rue Allard quand on a retiré son chandail au Centre Bell.

Après avoir été responsable des équipes de hockey à l’église Saint-Jean-de-Matha, Louis Di Lallo, aidé de ses frères, a créé dans les années 1960 le club des Hurricanes. Ils ont recruté un certain Ron Stevenson comme entraîneur et ils ont permis à plusieurs jeunes du quartier de familles modestes de s’épanouir dans le sport. « On faisait les réunions dans le sous-sol du restaurant », raconte Tony.

Les Mario Lemieux, Jean-Jacques Daigneault et Marc Bergevin ont été dans la même équipe des Hurricanes, qui a remporté en 1980 le championnat provincial bantam AA. C’est pourquoi tant de photos d’eux tapissent les murs du restaurant.

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Le mur des célébrités, même si un incendie a détruit de nombreuses photos sportives en 1997.

Un déménagement et un incendie

À l’origine, Dilallo était situé sur le boulevard Monk. La construction de la station de métro Monk pour les Jeux olympiques de 1976 a forcé son déménagement pas très loin rue Allard.

Trente ans plus tard, un grave incendie a forcé la fermeture du restaurant. « À ne pas travailler pendant plusieurs mois, j’étais pas mal perdu », dit Tony, une dynamo qui fait toujours du bénévolat chaque matin à l’église.

Tony Di Lallo se réjouit que son ancien restaurant familial – qui comprend aussi des franchises et des camions de rue – se dirige vers son 100e anniversaire en 2029.

Or, il peine à croire qu’un burger se vend 8 $ alors que c’était six pour 25 sous à une autre époque. Il comprend aussi pourquoi des jeunes ne veulent pas suivre les pas de leurs parents restaurateurs. « C’est dur. Il faut presque vivre dans la place. »

« Le prix du pain a doublé en deux ans », souligne Joe, qui ne veut surtout pas lésiner sur la qualité.

Sa plus grande fierté ? Quand il porte le t-shirt de son restaurant en vacances loin de Montréal et qu’on l’interpelle pour lui dire : « Dilallo, ce sont les meilleurs burgers ! »

Consultez le site de Dilallo