(Vancouver) C’est la semaine dernière qu’avait lieu, à Vancouver, la traditionnelle et distinguée cérémonie du Guide Michelin 2023, dévoilant la toute nouvelle liste des adresses sélectes étoilées. Du lot se distingue à nouveau un petit nom à connotation franchement québécoise : le St. Lawrence. Nous avons rencontré son chef au cours de l’été.
C’est à lui que la cuisine québécoise doit sa toute première étoile Michelin au pays, en 2022. Une distinction de taille, remise en prime cette année, dont Jean-Christophe (dit JC) Poirier n’est pas peu fier.
Déjà, son nom laisse deviner qu’il ne nous est pas totalement étranger. Natif de Saint-Jérôme, établi sur la côte Ouest depuis 20 ans maintenant, le chef et propriétaire du St. Lawrence est loin de renier ses origines, comme en témoigne le nom et la devanture de son resto (en français), planté telle une oasis dans un quartier plutôt industriel de Vancouver. À son menu trônent joyeusement cretons, oreilles de crisse et autres concoctions à base de sirop d’érable.
Un petit matin du début de septembre, alors qu’il vient d’aller chercher sa mère à l’aéroport (en direct de Montréal, pour garder ses enfants, puisqu’il s’apprête à prendre des vacances qu’on devine méritées), le chef primé accepte de nous rencontrer pour se raconter, et ce, même si la journée s’annonce chargée. Après tout, nous sommes un samedi et on se doute que ce n’est pas exactement la journée la moins achalandée.
Qu’importe, notre homme prend tout son temps, comme s’il avait la vie devant lui, et répond doucement, et de manière réfléchie, à toutes nos questions. Après avoir gentiment servi un café à sa matriarche (« Veux-tu de la crème ? ») et enfilé son tablier, faut-il le préciser.
« L’étoile m’a donné l’opportunité de changer des choses », dit-il d’emblée, attablé dans sa petite salle à manger d’une quarantaine de places à la décoration chargée un brin vieillotte, mais non sans charme. Oubliez le look épuré, on est plutôt ici entourés de tapisseries, de cadres multiples et de rideaux choisis, pour une ambiance chaude et intimiste, limite kitsch, mais de bon goût.
Le sceau étoilé
Alors il a changé quoi, exactement ? Jean-Christophe Poirier, dont le restaurant a reçu bon nombre d’autres distinctions, s’est permis ici de hausser quelque peu ses prix (à 125 $ le menu dégustation désormais), pour une seule raison : « Augmenter les avantages sociaux des employés. Tout le monde a eu une augmentation. On a eu une étoile, c’est parce que vous avez bien travaillé », résume-t-il. En outre, il a réduit ses heures d’ouverture (de sept à cinq services), permettant d’offrir deux journées de congé à ses employés (le resto étant fermé les dimanches et les lundis), en plus de deux semaines de repos l’été, et de deux autres l’hiver.
À sa façon, Jean-Christophe Poirier essaye de lutter contre certains fléaux de son industrie. « Tout le monde parle des problèmes de l’industrie, les longues heures, le fait qu’on travaille tout le temps, résume-t-il. La seule façon de trouver des solutions, c’est de facturer un prix. Et cette étoile, c’est un sceau d’approbation ! »
C’est un rêve de chef d’avoir une étoile Michelin ! […] De faire partie de ce système ! […] Je n’avais jamais pensé qu’ils viendraient au Canada !
Jean-Christophe Poirier, chef et propriétaire du St. Lawrence, à Vancouver
Le réputé guide est débarqué au Canada à l’automne 2022, mais n’a décerné des étoiles que dans deux villes canadiennes : Toronto, puis Vancouver. Montréal y fera-t-il bientôt son entrée ? Rien n’a été annoncé en ce sens pour l’instant.
La touche québécoise
Selon Jean-Christophe Poirier, qui a fait ses classes aux Remparts, anciennement dans le Vieux-Montréal (entre des études au Collège LaSalle, puis un passage au Toqué !), c’est d’abord l’originalité et l’authenticité du St. Lawrence qui lui ont valu cette convoitée distinction. « À Vancouver, il y a beaucoup de restaurants asiatiques, fait-il valoir, mais nous sommes la seule cuisine française et québécoise. » Un menu clair et une orientation sans équivoque le distinguent : « Les clients savent ce qu’ils vont manger, il n’y a pas de flou, il y a une direction : c’est une cuisine classique française, avec une touche québécoise. »
C’est ainsi que Jean-Christophe Poirier, à qui l’on doit un livre de recettes inspirées du menu de son restaurant (Where The River Narrows, en nomination aux Taste Canada Awards 2023) et une association récente avec l’entreprise de prêt-à-cuisiner Goodfood, se permet de jouer avec certains classiques (en remplaçant le traditionnel pain, beurre, rillettes par des cretons, par exemple), tout en en revisitant d’autres – et osant la tourtière en guise de pithiviers, pourquoi pas !
La cuisine québécoise, pour moi, c’est plus que la poutine ou le pâté chinois. Pour moi, c’est un état d’esprit, une philosophie.
Jean-Christophe Poirier, chef et propriétaire du St. Lawrence, à Vancouver
Une certaine liberté, quoi.
Une liberté qui, selon lui, se retrouve un peu partout à Montréal. Ce qui explique pourquoi l’homme s’est expatrié – outre, sans doute, pour la possibilité de se balader en t-shirt à Noël et d’être entouré de montagnes, confiera-t-il pendant l’entretien. Mais on s’égare. « Ici [à Vancouver], des ris de veau en plat principal, les gens n’avaient jamais vu ça. À Montréal, c’est partout ! »
En toute humilité, il conclut : « J’ai tout le temps dit que je n’aurais pas eu autant de succès à Montréal. Il y a beaucoup d’autres restos qui font ce genre de cuisine ! » Mais en attendant, il demeure le seul et unique étoilé !
Consultez le site du St. Lawrence (en anglais)