Les tables montréalaises établies sont-elles toujours à la hauteur de leur réputation ? Nous en visiterons quelques-unes pendant l’année, question de renouer avec ces restaurants qui résistent à l’épreuve du temps. Cette semaine, Ferreira, une valeur sûre qui ne connaît aucun ralentissement.

Un peu d’histoire

Bien que la majorité de nos institutions servent une cuisine française plus ou moins classique, il y a quelques exceptions, comme l’Estiatorio Milos et Alep, entre autres. En 1996, Carlos Ferreira s’est donné pour mission de faire briller la cuisine portugaise à Montréal. Bientôt 28 ans plus tard, on peut dire que c’est mission accomplie.

Les débuts de la chic adresse de la rue Peel n’ont pas nécessairement été faciles. « Si la cuisine de ce restaurant était à la hauteur de son décor, ce serait une réussite éclatante. Il a malheureusement plus de plumage que de ramage », écrivait la critique de La Presse Françoise Kayler, en 1996. Heureusement, sa deuxième expérience officielle, en 2002, était beaucoup plus positive. Et depuis longtemps, on peut dire que les assiettes ont rattrapé le cadre.

Emplacement oblige, en plein centre-ville, c’est une clientèle d’affaires soutenue par de généreuses allocations de dépenses qui en est venue à constituer la faune principale du Ferreira. Ça semble être toujours le cas aujourd’hui, avec l’ajout de touristes, de personnalités connues et de travailleurs de la restauration à la recherche d’expériences classiques.

  • Carlos Ferreira entouré de ses filles, Claudia (à gauche) et Sandra

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Carlos Ferreira entouré de ses filles, Claudia (à gauche) et Sandra

  • Natalia Machado est au Ferreira depuis deux ans et occupe maintenant le poste de chef.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Natalia Machado est au Ferreira depuis deux ans et occupe maintenant le poste de chef.

  • Carlos Ferreira, Caroline Gosselin (maître d’hôtel), Natalia Machado (chef), Tristan Buisson (sommelier), Damião Santos (directeur), Claudia Ferreira, Manuel Catalão (sous-chef) et Sandra Ferreira

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Carlos Ferreira, Caroline Gosselin (maître d’hôtel), Natalia Machado (chef), Tristan Buisson (sommelier), Damião Santos (directeur), Claudia Ferreira, Manuel Catalão (sous-chef) et Sandra Ferreira

1/3
  •  
  •  
  •  

Si le très rigoureux Carlos Ferreira continue de passer au restaurant tous les jours, c’est maintenant sa fille Sandra qui tient les rênes. Son autre fille Claudia se consacre aux « projets spéciaux ». La chef actuelle, soutenue par une équipe stable, est Natalia Machado, que l’on a connue il y a une dizaine d’années au défunt Atelier d’Argentine.

« Ça prend un ou une chef qui est prêt ou prête à exécuter nos classiques », déclare Sandra. Car oui, quelques plats saisonniers s’ajoutent au menu permanent, mais le Ferreira ne fait pas dans la cuisine d’auteur. C’est une vitrine pour une belle et riche cuisine portugaise « montréalisée » et pour une restauration faite dans les règles de l’art, avec chaleur, mais sans trop de familiarité.

Notre expérience

  • Il y a toujours plusieurs poissons du jour au menu.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Il y a toujours plusieurs poissons du jour au menu.

  • La salle à manger principale du Ferreira est moderne avec quelques évocations du Portugal.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    La salle à manger principale du Ferreira est moderne avec quelques évocations du Portugal.

  • Une des trois propositions à base de pieuvre est cette entrée de tentacule croustillant.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Une des trois propositions à base de pieuvre est cette entrée de tentacule croustillant.

  • L’incontournable morue en croûte de cèpes est un classique de la maison.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    L’incontournable morue en croûte de cèpes est un classique de la maison.

  • Les amateurs de fruits de mer ne peuvent qu’être comblés ici.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Les amateurs de fruits de mer ne peuvent qu’être comblés ici.

  • Ces petites natas servies chaudes sont tout indiquées pour clore le repas.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Ces petites natas servies chaudes sont tout indiquées pour clore le repas.

  • Les vins portugais constituent une bonne part de la cave du Ferreira.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Les vins portugais constituent une bonne part de la cave du Ferreira.

1/7
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Le mois de novembre 2023 est particulièrement difficile pour un grand nombre de restaurateurs, qui doivent composer avec une baisse de fréquentation et des clients qui n’honorent pas leurs réservations (ces malheureux « no shows »). Mais pas Ferreira. Lorsque je pousse la porte en bois massif de l’institution de la rue Peel, un mercredi soir, la belle symphonie d’une salle à manger pleine de vie me monte aux oreilles.

L’hôtesse me conduit jusqu’à la section du fond, où ma chère maman est déjà installée. On se sent un peu à l’écart dans cette partie du restaurant où sont notamment placés les groupes (il y en aura deux d’au moins 10-12 personnes qui se succéderont juste à côté de nous). Mais on est au cœur de l’action en cuisine. Seule une paroi de verre nous en sépare et il se passe tout un spectacle le long du grand comptoir en inox, notamment quand on s’attaque à la préparation d’un énorme turbot pour la table de six à côté.

Ferreira est une belle machine rodée au quart de tour. Grâce à une équipe nombreuse (75 employés) et de haut niveau, tant en cuisine qu’en salle, l’établissement réussit à faire du volume tout en offrant un service professionnel et personnalisé. Le sommelier, Tristan Buisson, prend par exemple tout le temps nécessaire pour nous questionner sur nos envies en matière de vin et pour écouter la réponse. Il revient du cellier avec le Mono C 2018 de Luis Seabra, à base de castelão planté dans la vallée du Douro. Avec son acidité salivante et son fruité subtil, le vin accompagnera bien nos choix de plats un peu hétéroclites. La cave est ambitieuse ici. Vous trouverez forcément bouteille à votre gosier !

Devrait-on encore manger de la pieuvre ? Au Ferreira, la réponse est oui, trois fois plutôt qu’une. Incapable cette fois de résister à l’appel du tentacule croustillant, j’opte pour l’entrée bien gourmande composée de purée de haricots portugais, d’oignons perlés marinés, de salsa verde et d’huile de paprika fumé. C’est doux et texturé à la fois.

Devant moi, ma mère, plus raisonnable, apprécie sa salade de cresson et de courge rôtie, rehaussée d’un pesto de basilic et surmontée d’une tuile de fromage São Jorge bien craquante. C’est qu’elle s’était précédemment gâtée avec six huîtres ouvertes de manière impeccable et servies avec mignonnette.

En plats principaux, nous honorons à la fois la terre et la mer. Le risotto aux champignons sauvages avec cuisse de canard confite et sauce au porto est servi d’une cocotte. C’est un plat particulièrement riche, automnal, et la portion est si généreuse que j’en rapporte les deux tiers à la maison.

En revanche, il ne restera rien dans l’assiette – très copieuse également – de maman, qui aura pendant un bref instant contenu une belle pièce de morue noire, dont la chair nacrée à la cuisson parfaite se défait en gros flocons. C’est un classique de la maison qui, avec sa purée de pomme de terre et sa réduction de porto, soigne bien les blues de novembre.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Les délices maritimes se déclinent en une foule d’autres plats : bouillabaisse, riz aux fruits de mer, nombreux poissons du jour et même carabineiros (crevettes géantes) en supplément, pour environ 30-40 $ la bête. Il y a aussi au menu une section de bœuf grillé, dont les pièces vieillies par le Marchand du Bourg, roi montréalais du steak.

Au dessert, vous serez peut-être tenté d’opter comme nous pour l’assiette de dégustation. Mais qui trop embrasse mal étreint. Si c’était à refaire, je m’en tiendrais aux classiques natas ou aux beignets.

Entre le caviar osciètre, le tomahawk et les bouteilles du Domaine de la Romanée-Conti, le luxe n’a pas de limites ici. Et il nous aura suffi de deux cocktails à l’apéro et d’une bouteille de vin dans la centaine pour monter une addition pour deux de 500 $ (avec taxes et pourboire).

Que cette institution ait été pleine à craquer un mercredi soir de novembre m’a menée à plusieurs constats. Primo, les Ferreira sont des bosseurs qui n’ont jamais fait de concession sur la rigueur. Secundo, les valeurs sûres ont la cote. Tertio, la clientèle aisée ne connaît pas la crise financière. Elle ferait bien d’aller aussi dépenser ses sous dans les nombreuses petites tables de chefs inspirés qui vivent des temps durs.

Ferreira est ouvert du lundi au vendredi pour le lunch et tous les soirs sauf le dimanche.

1446, rue Peel, Montréal

Consultez le site du Ferreira