(New Delhi) Le poulet au beurre figure au menu de la justice indienne depuis que deux chaînes de restaurants rivales revendiquent l’invention de ce plat phare de la gastronomie locale.

L’une des plus anciennes chaînes de restaurants de Delhi, Moti Mahal, intente une action en justice contre son concurrent Daryaganj devant la Haute Cour de la capitale.

Dans une plainte longue de 2000 pages, Moti Mahal accuse son rival de s’attribuer injustement la création de la recette savoureuse de poulet à l’onctueuse sauce rouge alliant crème et noisettes de beurre, ainsi que celle du dal makhani, préparation de lentilles noires cuites à feu doux servies dans une sauce à la crème et à la tomate.

« Le fait que nous sommes les inventeurs du poulet au beurre et du dal makhani est bien documenté », déclare à l’AFP Monish Gujral, 57 ans, propriétaire de Moti Mahal, dans l’une de ses adresses bondées de Delhi.

« Nous ne réclamons pas que l’on ne puisse pas servir de poulet au beurre dans un restaurant. Mais ne dites pas que vous avez inventé ce plat. Je n’autoriserai personne à nous voler notre héritage », a-t-il ajouté.

PHOTO ARUN SANKAR, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le propriétaire de Moti Mahal Monish Gujral prépare du poulet au beurre dans la cuisine de son restaurant, le 29 janvier à Delhi.

Histoire de famille

C’est à Peshawar dans l’actuel Pakistan que Kundan Lal Gujral, grand-père de Monish Gujral, apprend la cuisine et ouvre un restaurant en 1920. Il a l’idée d’ajouter une sauce crémeuse riche en tomates à « des morceaux de poulet tandoori menacés de se dessécher ».

Après avoir gagné Delhi en 1947 au moment de la partition de l’Inde et du Pakistan, le chef lance son premier restaurant Moti Mahal.

Devenu une véritable institution gastronomique, de prestigieux invités viennent goûter aux créations du restaurant à l’image du premier ministre indien Jawaharlal Nehru — un habitué des lieux —, du président américain Richard Nixon ou encore de la première dame Jackie Kennedy.

L’histoire tourne cependant au vinaigre après la nomination comme associé du cousin du fondateur, Kundan Lal Jaggi.

Les héritiers de ce dernier, fondateurs de la chaîne Daryaganj, n’en démordront pas : leur ancêtre est le véritable père du poulet au beurre.  

PHOTO ANINDITO MUKHERJEE, THE NEW YORK TIMES

Le poulet au beurre du restaurant Daryaganj, à Delhi

Selon eux, la trouvaille remonte à 1947. Le restaurateur n’ayant plus que quelques morceaux de poulet tandoori sous la main pour servir des clients arrivés à la fermeture de la cuisine, un des convives lui suggère d’ajouter une sauce « pour que tout le monde puisse déguster un repas copieux », narre la chaîne de restaurants.

Mais d’après Monish Gujral, son concurrent nie tout simplement l’histoire familiale.

« Nous sommes en activité depuis 100 ans », s’exclame-t-il devant des photos en noir et blanc de personnalités habillant les murs du restaurant. « Ils ont copié notre atmosphère et notre style », ajoute le restaurateur.

PHOTO SAHIBA CHAWDHARY, REUTERS

Monish Gujral montre des photos de personnalités ayant mangé à son restaurant.

Le plaignant réclame 20 millions de roupies (environ 325 000 dollars canadiens) de dommages-intérêts et souhaite que soit interdit à Daryaganj de revendiquer la paternité du poulet au beurre et du dal makhani.

Daryaganj a dit se pencher sur la plainte avant de s’exprimer sur la question.  

Une prochaine audience doit avoir lieu en mai.

Ce n’est pas la première fois que l’origine d’une spécialité vedette de la gastronomie indienne fait l’objet d’un conflit.

En 2018, la Haute Cour de Delhi s’était penchée sur le cas du Tunday Kababi, une recette populaire à base de viande grillée. Les États d’Odisha et du Bengale occidental revendiquent par ailleurs tous deux l’invention du rasgulla, un dessert proposant une boule de fromage dans son bain de sirop.

Au-delà de la cuisine indienne, les mets d’autres régions du monde sont devenus des sujets de querelle, qu’il s’agisse du kimchi (chou fermenté et pimenté), du houmous ou du poulet à la Kyiv.