Ironiquement, c'est en Europe plutôt qu'aux États-Unis que pourrait être faite toute la lumière sur les abus perpétrés contre de présumés terroristes avec l'assentiment de l'administration de George W. Bush.

La justice espagnole envisage de lancer une procédure ciblant six anciens hauts responsables américains accusés d'avoir élaboré le cadre juridique validant le programme de «restitution extraordinaire» du gouvernement et le recours à des techniques d'interrogatoire musclées.

 

Dans les années suivant les attentats du 11 septembre 2001, des centaines de détenus ont été transférés illégalement vers des prisons secrètes ou la base militaire de Guantánamo pour être questionnés.

Le président Barack Obama a jusqu'à maintenant résisté aux appels des organisations de défense des droits de l'homme qui le pressent de lancer une commission d'enquête pour déterminer l'identité des personnes à l'origine de ces pratiques.

«Nous pensons que le gouvernement américain doit faire plus à ce sujet», a répété hier le responsable du bureau parisien de Human Rights Watch, Jean-Marie Fardeau.

L'initiative espagnole découle d'une plainte soumise par une association de défense des détenus au juge Baltasar Garzon, qui s'était rendu célèbre en obtenant l'arrestation de l'ancien dictateur chilien Augusto Pinochet. Bien que le procureur général espagnol se soit dit défavorable à l'initiative, le juge peut décider seul d'aller de l'avant.

La procédure à l'étude, qui cible l'ancien ministre de la Justice, Alberto Gonzales, et plusieurs de ses proches collaborateurs, repose sur l'application de la Convention contre la torture. Les pays signataires, dont les États-Unis, ont la responsabilité de poursuivre en justice les ressortissants contrevenant à ses dispositions. Ils peuvent, en théorie, s'occuper de traiter les cas survenus hors de leur territoire, même lorsque les victimes alléguées sont des étrangers.

Un juge fédéral de Miami a ainsi condamné en janvier à près de 100 ans de prison le fils de l'ancien dictateur libérien Charles Taylor pour des actes de torture commis en Afrique.

Dans le cas ciblant l'ancienne administration américaine, une demi-douzaine d'anciens détenus d'origine espagnole sont revenus de Guantánamo en affirmant avoir été torturés, ce qui renforce les fondements juridiques de la plainte.

Jusqu'à maintenant, les enquêtes formelles menées aux États-Unis sur les cas de torture ont épargné les membres en vue de l'administration Bush.

Le cas espagnol n'est pas une première en Europe puisque l'ancien secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, a déjà fait l'objet de plaintes pour torture déposées en Allemagne et en France qui n'ont pas abouties.

Des démarches juridiques en cours en Italie, en Grande-Bretagne et en Allemagne pourraient aussi jeter une lumière crue sur les dessous du programme de restitution extraordinaire et les cas de torture allégués dans les prisons secrètes de la CIA, aujourd'hui officiellement fermées.

Ces procédures pourraient embarrasser plusieurs pays européens accusés d'avoir soutenu, activement ou passivement, les transferts de détenus à travers leur territoire. Dans un rapport réalisé pour le Conseil de l'Europe en 2007, le député suisse Dick Marty s'est dit convaincu que la plupart des États du Vieux Continent avaient participé de près ou de loin au programme.

Il estime que ces États devraient profiter du fait que la nouvelle administration américaine condamne aujourd'hui les pratiques les plus controversées de l'ère Bush pour «faire la lumière sur leurs propres agissements».

Le Canada a aussi été montré du doigt dans cette affaire puisque des dizaines d'avions identifiés comme des appareils de la CIA par les organisations de défense des droits de l'homme se sont posés en sol canadien dans les années suivant les attentats du 11 septembre 2001.

Le gouvernement libéral avait conclu, à l'issue d'une rapide enquête, qu'il n'y avait aucun signe de malversation. Le gouvernement conservateur a systématiquement refusé par la suite d'aborder officiellement la question avec les autorités américaines.