Les élections frauduleuses du mois d'août marquent un tournant dans l'histoire de l'Afghanistan. Car au lendemain d'un deuxième tour de scrutin, le président Hamid Karzaï, qui a toutes les chances d'être réélu, procédera selon toute probabilité à une grande purge à la tête du pays. Après quoi il devra tisser de nouvelles alliances. Y compris avec des factions de talibans.

C'est le portrait que dresse Antonio Giustazzi, grand spécialiste de l'Afghanistan, auteur de trois livres sur ce pays et chercheur au Crisis States Research Center, en Grande-Bretagne.

 

Lorsque La Presse l'a joint vendredi, à Londres, il venait tout juste de rentrer d'un séjour d'un mois en Afghanistan. Il a dépeint un pays où il est devenu pratiquement impossible de se déplacer, pour des raisons de sécurité. «La situation n'a jamais cessé de se détériorer depuis 2002, mais maintenant, elle est pire que jamais», a-t-il constaté.

L'économie afghane est en lambeaux. Face à l'incertitude qui plane sur les lendemains du deuxième tour, prévu pour le 7 novembre, les Afghans gardent ce qu'ils ont d'argent, au cas où. «Les gens ne dépensent que pour acheter l'essentiel, la consommation s'est effondrée, les investissements sont paralysés», résume Antonio Giustazzi.

Des tractations ont toujours lieu entre Hamid Karzaï et son principal adversaire, Abdullah Abdullah, pour former un gouvernement de coalition et éviter ainsi un deuxième tour. Mais ces pourparlers sont laborieux, parce que les deux hommes ne parviennent pas à négocier le prix de leur éventuel accord. «Ils ne s'entendent pas sur la façon dont ils partageront le pouvoir, sur le nombre de ministères que pourra contrôler Abdullah Abdullah, par exemple», explique le chercheur.

Mais même s'ils parvenaient à une entente, il y a un problème de confiance: dans le système afghan, le président peut démettre les ministres de leurs fonctions et en nommer d'autres à tout moment.

Aussi, l'adversaire du président a peut-être avantage à y aller pour un deuxième tour. «Au lieu de grossir les rangs d'un gouvernement discrédité, il préserverait le prestige qu'il a gagné pendant la campagne électorale, ce serait une option honorable pour lui», analyse M. Giustazzi.

Purge à venir

De toute façon, plus le temps passe, plus la perspective d'une entente entre les deux candidats s'étiole. Le nouveau scrutin a-t-il des chances d'être plus crédible que le premier tour?

Le hic, c'est que le taux de participation sera probablement encore plus famélique que celui enregistré le 20 août, croit M. Giustazzi, qui cite les raisons climatiques, mais aussi le désenchantement des électeurs. À peine un électeur sur trois a voté au premier tour.

En fin de compte, fraude ou pas, il y a peu de chances que Karzaï ne remporte pas ce vote. Que fera-t-il une fois élu?

«Il tentera de marginaliser l'opposition, de punir ceux qui ont soutenu Abdullah Abdullah», explique Antonio Giustazzi.

Ce dernier s'attend à une purge au sien de l'armée, qui soutient Abdullah Abdullah, à un point tel qu'un départ des troupes étrangères serait rapidement suivi d'un coup d'État militaire, selon lui. «Le gouvernement ne survivrait pas plus de quelques jours, dans cette éventualité.»

Karzaï n'aura donc pas le choix: il devra préparer le terrain pour une nouvelle coalition, et celle-ci exacerbera les tensions ethniques qui deviennent de plus en plus vives au pays. Le chercheur s'attend par exemple à ce que les Tadjiks perdent leur pouvoir d'influence, au profit peut-être de certaines factions d'insurgés. Mais ceux qui perdront leur poids politique pourraient vouloir se venger en sabotant le travail du gouvernement.

D'après M. Giustazzi, les derniers mois marquent en fait la fin d'une époque en Afghanistan. «La coalition post-talibans est morte», annonce-t-il. Ce qui la remplacera n'est pas clair pour lui, mais il ne voit aucun scénario optimiste poindre à l'horizon.