C'est la manne dont on parle rarement. De l'aide internationale qui atteint plus de 300 milliards par année, sans coûter un sou aux gouvernements des pays riches. Elle prend la forme d'un chèque mensuel envoyé par les immigrés à leur famille, restée dans leur pays d'origine. En Haïti par exemple, cet argent provenant en grande partie de Montréal , représente annuellement 240 millions. Mais la crise économique, qui a durement frappé les immigrants, change la donne. Montréal, comme d'autres grandes capitales occidentales, tousse. Et l'Inde, la Chine ou les Caraïbes éternuent.

«Depuis toujours, on s'appelle le centre des travailleurs immigrants, mais si ça continue, on va se rebaptiser le entre des immigrants au chômage.»

Dans le petit local de Notre-Dame-de-Grâce, Mostafa Henaway plaisante à peine. D'habitude, ses collègues et lui reçoivent des immigrés qui ont des difficultés avec leurs employeurs.

 

Depuis le début de la crise économique, leur travail a changé. Ils offrent toujours des consultations à des néo-Montréalais en difficulté, mais cette fois parce qu'ils n'ont plus d'employeurs.

Présents dans plusieurs secteurs de l'économie frappés de plein fouet par la crise économique, dont le manufacturier, beaucoup d'immigrés ont fait partie des cohortes de travailleurs qui ont vu leurs emplois disparaître dans les deux dernières années.

Depuis des mois, des centaines d'entre eux se demandent comment ils vont payer le loyer, mais ils s'inquiètent encore davantage pour leur famille, à l'autre bout du monde, qui compte sur leur aide pour joindre les deux bouts.

Selon une étude de Statistique Canada, un immigré sur deux - soit un Canadien sur 10 - envoie de 3% à 6% de son revenu à des proches, à l'étranger. En Haïti seulement, l'ensemble des transferts d'argent, provenant en grande partie de Montréal, représente annuellement 240 millions de dollars, selon la Banque interaméricaine. C'est quatre fois l'aide accordée par le gouvernement à l'île antillaise.

Hausse de la pauvreté

Autre démonstration flagrante des effets de la mondialisation: quand un emploi disparaît dans le parc industriel de Saint-Laurent, les conséquences se font ressentir jusqu'en Inde, en Chine ou dans les Antilles.

«C'est difficile d'envoyer de l'argent dans sa famille quand on ne reçoit que l'assurance-chômage ou pire, l'assistance sociale», fait valoir Kamran Mahbob, qui depuis le début de la crise, a perdu son emploi dans l'industrie pharmaceutique.

Dans son pays natal, le Pakistan, ces envois d'argent en provenance des émigrés jouent un rôle capital. En 2008, les Pakistanais vivant à l'extérieur du pays ont expédié 7 milliards de dollars à leur famille, soit 8% du produit intérieur brut. Dans un pays où le revenu par habitant est inférieur à 700$ par année, cet apport peut faire toute la différence.

«Des études scientifiques démontrent que les envois d'argent par les immigrants ont un impact direct sur la pauvreté. Une hausse de 10% dans les envois fait reculer la pauvreté de 3% dans leur pays d'origine», explique Sanket Mohapatra, chercheur à la Banque mondiale. Il note que les destinataires de cet argent ne sont pas les seuls bénéficiaires. «L'argent étranger dépensé va créer des emplois pour tous, faire rouler l'économie». En cas de baisse cependant, l'effet est inversé, donc, potentiellement dévastateur.

Craindre le pire

L'ampleur de la crise économique des deux dernières années a fait craindre le pire à la Banque mondiale. Alors que le produit intérieur brut mondial rétrécissait de 1% pour la première fois en 50 ans, l'organisation internationale établie à Washington a craint une diminution des envois d'argent de 7,3%. Finalement, ce recul aura été de 6,1% pour 2009. En 2009, 317 milliards auront transité par les Western Union de ce monde.

«Il reste des risques importants à l'horizon. La reprise en 2010 et 2011 risque d'être superficielle», conclut l'unité de recherche à laquelle appartient M. Mohapatra, dont le mandat est de scruter à la loupe les variations dans les sommes envoyées par les travailleurs immigrants à leur famille.

Étonné que la Banque mondiale consacre de telles énergies au sujet? «À eux seuls, les envois d'argent représentent plus de deux fois l'aide internationale», ajoute à ce sujet M. Mohapatra. Bon an, mal an, les pays riches donnent 120 milliards aux pays en voie de développement. Ces mêmes pays reçoivent de 240 à 270 milliards de leurs émigrés. Cet argent est utilisé à plusieurs sauces: tantôt il sert à rénover la maison, tantôt à s'acheter un bien de consommation ou à payer les études de Junior, mais en temps de crise, il a un impact direct sur le garde-manger, la survie.

Plus d'affamés

En annonçant le mois dernier que l'humanité compte plus d'affamés que jamais - un humain sur six souffre de malnutrition -, les Nations unies n'ont pas manqué de noter que les pertes d'emploi dans les pays occidentaux se sont souvent transformées en assiettes vides dans les pays du Sud.

Le Mexique est parmi les pays les plus touchés par la baisse des envois d'argent. Bon nombre de familles mexicaines comptent depuis longtemps sur l'aide de leurs proches qui travaillent aux États-Unis. Or, le New York Times soulignait cette semaine que ce sont ces familles qui, aujourd'hui, doivent parfois casser leur tirelire pour aider les Mexicains au chômage au pays de l'Oncle Sam. Le monde à l'envers pour des millions de personnes.

Plusieurs organisations internationales, dont le Programme alimentaire mondial, accrochent ces jours-ci des chapelets sur les cordes à linge. Elles espèrent que le climat économique mondial continuera de s'améliorer et que le flot de dollars, de livres sterling, d'euros et de riyals saoudiens en provenance des 200 millions d'émigrés retrouvera son cours normal.

 

La plus grande victime: le Tadjikistan

Le Tadjikistan, ce jeune pays d'Asie centrale en transition depuis la chute de l'Union soviétique, dépend lourdement de l'agent envoyé par sa diaspora. Cet argent représente 50% de son produit intérieur brut. L'apport des émigrés, qui travaillent pour la plupart dans les champs agricoles de la Russie, a chuté de 30% l'an dernier. Résultat: aujourd'hui ,60% du pays crie famine et doit dépendre de l'aide humanitaire pour survivre.