Cent dix-huit jours, douze heures et cinquante-quatre minutes. C'est le temps que le journaliste canado-iranien Maziar Bahari a passé dans la prison d'Evin, à Téhéran. Pour la première fois depuis sa libération, il raconte son expérience. D'abord, dans un long article paru dans le magazine Newsweek. Puis, dans quelques entrevues à la télévision, y compris à la CBC.

Quand il a vu que son tortionnaire portait des pantoufles, Maziar Bahari a compris qu'il n'était pas sorti du bois. L'homme qui allait lui faire subir le supplice de la question s'était mis à l'aise. C'était signe que l'interrogatoire durerait longtemps.

Les séances s'étireront en fait sur près de quatre mois. Arrêté dans les jours qui ont suivi l'élection présidentielle du 12 juin, l'ancien étudiant de Concordia a dû faire face quotidiennement, pendant 118 jours, à cet homme chaussé de pantoufles qui sentait la transpiration et l'eau de rose.

Maziar Bahari ne connaît pas le nom de son tortionnaire. Dans le témoignage qu'il publie dans le plus récent numéro de Newsweek, il le surnomme «Mr. Rosewater». Monsieur Eau-de-rose.

Durant la première période de son incarcération, ce dernier veut lui faire avouer qu'il dirigeait un réseau de journalistes occidentaux opposés au régime de Téhéran. Puis, il tente de le relier aux réformateurs iraniens, arrêtés durant la vague de répression qui a suivi le scrutin de juin.

Maziar Bahari raconte avoir été roué de coups de pied, frappé ou encore battu derrière la tête d'une manière qui l'a fait souffrir de violentes migraines.

Mais le pire, c'était la torture psychologique. Les menaces d'exécution imminente. L'isolement dans une cellule de trois mètres carrés. Les réveils à l'aube, l'heure à laquelle on pend les condamnés. Les mensonges visant à lui faire croire qu'il a été abandonné de tous. Sa situation lui paraît parfois si désespérée qu'à quelques reprises, le journaliste de 42 ans envisage le suicide. Il s'imagine casser les verres de ses lunettes pour se tailler les veines. «Mais je me suis dit que je n'avais pas à faire leur travail à leur place.»

Manque d'humour

À certains moments, l'interrogatoire prend un tour surréaliste. «Nous avons un document compromettant», lui annonce un jour «Mr. Rosewater». Puis, il fait jouer une émission dans laquelle l'humoriste Jon Stewart, portant des lunettes noires, avait fait subir une interview déjantée à Maziar Bahari. Celui-ci s'était prêté de bonne grâce à cette entrevue au cours de laquelle Jon Stewart joue le rôle d'un espion. Mais son tortionnaire est insensible à l'humour absurde. «Je le trouve très suspect», dit-il au détenu.

Accusé d'espionnage au profit de la CIA, du Mossad, du réseau britannique MI6 et de... Newsweek, Maziar Bahari affirme avoir systématiquement refusé d'identifier d'autres prétendus espions pendant ses interrogatoires.

Comment a-t-il tenu le coup? Il a essayé de se tenir en forme, en faisant des redressements assis dans sa cellule. Ou alors, il fredonnait des chansons de Leonard Cohen dans sa tête.

Maziar Bahari est convaincu qu'il doit sa liberté à la campagne internationale visant à le faire relâcher. Le mois dernier, il a rejoint sa femme à Londres, juste à temps pour la naissance de son premier bébé. Maintenant, quand il se lève au milieu de la nuit, c'est pour changer des couches.

Au moment de sa libération, «Mr. Rosewater» l'a averti de ne jamais raconter ce qu'il a vécu en prison, au risque que son corps ne se retrouve «dans un sac». Son long article dans Newsweek et ses entrevues à la télévision sont une manière de conjurer la peur.

 

Des condamnations

Le journaliste iranien Ahmad Zeidabadi a eu moins de chance que Maziar Bahari. Il vient d'être condamné à cinq ans de prison dans le cadre des poursuites liées à la contestation de la réélection du président Mahmoud Ahmadinejad. Au moins 4000 manifestants ont été arrêtés et 30 personnes tuées lors des manifestations contre les résultats de la présidentielle, selon des chiffres officiels. Environ 140 protestataires ont été traduits en justice et 5 ont été condamnés à mort.

Avec l'AFP