Documentariste et journaliste canado-iranien, Maziar Bahari vient tout juste d'être libéré après avoir passé quatre mois dans la prison de Téhéran, où, en 2003, la Montréalaise Zahra Kazemi a été tuée. Hier, l'ancien étudiant de l'Université Concordia a accordé une entrevue à La Presse avant d'aller rencontrer le ministre des Affaires étrangères à Ottawa. Sa détention, dit-il, lui en a appris beaucoup sur les luttes de pouvoir qui déchirent présentement son pays d'origine. Et qui n'annoncent, selon lui, rien de bon.

Quand il a été arrêté en pleine nuit à Téhéran dans l'appartement de sa mère par des Gardiens de la révolution, Maziar Bahari savait qu'il n'avait pas affaire à des enfants de choeur.

 

Au cours des ans, le journaliste qui détient la double nationalité canadienne et iranienne a pu observer l'ascension au pouvoir de cette armée de l'ombre, fidèle à l'ayatollah Ali Khamenei, leader suprême de la République islamique.

Mais c'est en prison, alors qu'il était interrogé, menacé et battu quotidiennement par un agent de l'armée idéologique du régime, qu'il a compris l'ampleur de la menace qui guette la population iranienne, voire le reste du monde.

«Avant ma détention, je ne comprenais pas jusqu'à quel point les Gardiens de la révolution vivent dans la paranoïa, l'ignorance et, en même temps, la confiance en eux», a raconté hier à La Presse M. Bahari, joint à Ottawa.

Le journaliste, qui couvrait les manifestations post-électorales pour le magazine américain Newsweek quand il a été appréhendé en juin, se souvient d'accusations complètement loufoques que répétaient son principal interrogateur, un homme qu'il a surnommé «M. Eau-de-rose» à cause de l'odeur de sueur et de parfum qu'il dégageait.

«Entre autres choses, il m'accusait d'avoir visité l'île qui est juste au large de Toronto. Comme si c'était la preuve d'un crime. Je me demandais ce qu'il avait fumé», a dit à la blague le cinéaste et reporter de 42 ans. Celui-ci a recouvré sa liberté le mois dernier, après 118 jours de détention, à la suite d'une grande campagne internationale en sa faveur. Juste à temps pour la naissance de sa fille, la petite Marianna.

Pendant les longs interrogatoires qu'il a subis, Maziar Bahari savait que plaisanter n'était pas une option. Il a adopté un ton de déférence pour s'adresser à ceux qui, quasi quotidiennement, menaçaient de l'exécuter. «Je devais leur montrer en tout temps qu'ils étaient meilleurs que moi», a-t-il soutenu.

Au cours de sa détention, a-t-il ajouté, ses geôliers changeaient plus souvent d'idée sur les raisons qui motivaient son séjour à la prison d'Evin que de chemise. Après l'avoir accusé d'espionner pour le Mossad, la CIA et Newsweek, ils l'ont forcé à avouer publiquement qu'il avait dirigé une vaste opération de propagande contre la République islamique dans les médias étrangers.

Avant de le libérer à la mi-octobre, «M. Eau-de-rose» a menacé de s'en prendre à lui s'il racontait son séjour en prison. Une menace que le journaliste combat depuis à grands coups d'entrevues dans les médias du monde entier. «Les Gardiens de la révolution ont peur de gens comme moi, un journaliste, mais en même temps, ils veulent être maîtres du monde», a fait valoir celui qui travaille pour de nombreux médias étrangers, dont la BBC, en plus d'écrire des pièces de théâtre et de réaliser des documentaires.

Quand l'élève dépasse le maître

Maîtres du monde, les Gardiens de la révolution ne sont pas, mais les experts de l'Iran estiment à l'unanimité que l'organisation militaire en mène large dans la République islamique. La répression sanglante du mouvement de contestation politique l'été dernier leur est attribuée. «Depuis qu'il a pris le pouvoir en 1989, l'ayatollah Khamenei leur a fait beaucoup de place, il les a formés. Maintenant, les Gardiens essaient de prendre le contrôle de toutes les branches du gouvernement et de l'industrie iranienne. À un certain point, leur pouvoir fera de l'ombre à l'ayatollah. Le régime islamiste est en train de devenir un régime militaire», a noté Maziar Bahari.

Le journaliste est convaincu que l'armée idéologique tire les ficelles dans le dossier nucléaire iranien, qui fait quotidiennement les manchettes. «Ils veulent l'arme nucléaire. L'exemple nord-coréen les inspire», a soupiré le cinéaste.

Celui qui s'est installé à Londres après sa libération recommande à la communauté internationale de continuer le dialogue avec l'Iran plutôt que d'enterrer le pays sous les sanctions, une tactique qui pourrait renforcer les Gardiens de la révolution plutôt que les éléments les plus modérés du régime. C'est d'ailleurs là un des principaux messages que Maziar Bahari a porté au ministre des Affaires étrangères Lawrence Cannon, avec qui il a eu un entretien privé hier après-midi. «Je sais que tant que M. Eau-de-rose sera dans une position de pouvoir, je ne pourrai pas retourner en Iran.»

 

TRENTE ANS DE SERVICES LOYAUX

Les Gardiens de la révolution passent pour la garde loyale de la République islamique et de son guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei. Ils disposent d'une puissante milice, les Bassidjis, et ont joué un important rôle dans la répression des manifestations qui ont suivi la réélection contestée du président Mahmoud Ahmadinejad. Ce dernier est d'ailleurs issu des rangs des Gardiens. Cette branche idéologique de l'armée iranienne compte 125 000 membres, selon l'Institut international des études stratégiques de Londres (IISS), sur un total de 523 000 hommes dans l'armée active. AFP