Nolizwi Sinama avait 14 ans quand sa vie a basculé. En échange de trois vaches, ses parents l'ont mariée de force à un homme de 42 ans, arguant d'une vieille coutume remise en vigueur dans certaines zones rurales d'Afrique du Sud.

«Tout a eu lieu très vite», raconte avec nervosité l'adolescente qui, après trois ans de cauchemar, a trouvé refuge dans un foyer à Palmerton, au coeur de la province pauvre de l'Eastern Cape. «Un jour, j'étais une écolière normale et le lendemain, je me suis retrouvée dans une famille inconnue et un vieil homme m'a forcée chaque jour à coucher avec lui.»

«Je ne pouvais pas rentrer chez moi, ma grand-mère m'avait dit de ne jamais revenir: ils avaient vendu les vaches et utilisé l'argent», poursuit la jeune fille en retenant ses larmes.

Des centaines d'autres mineures ont vécu la même tragédie dans l'Eastern Cape en application d'une tradition appelée ukuthwalwa («être emmenée» en xhosa), selon la police.

Cette coutume, quasiment éteinte pendant des années, prévoit qu'un homme éconduit peut enlever une femme pour l'obliger à l'épouser. Dans le passé, elle ne s'appliquait qu'à des majeures.

Or, aujourd'hui, des hommes mûrs l'utilisent comme prétexte pour ravir des jeunes filles prépubères au grand dam des services sociaux et des défenseurs des cultures traditionnelles.

Dix-neuf victimes de mariages forcés vivent au foyer de Palmerton depuis qu'elles ont été sauvées par la police lors d'une campagne destinée à mettre un terme à cette pratique. La plupart ont des enfants nés de ces unions.

«Il m'a violée lors de notre première nuit ensemble. Et chaque jour, il m'a forcée à coucher avec lui, à chaque fois j'ai résisté mais il était le plus fort», confie Nolizwi, maman d'un garçon de deux ans.

«J'aime mon fils et je veux bien l'élever pour qu'il devienne un homme bon», souligne l'adolescente.

La campagne de sauvetage a été menée dans les villages autour de Lusikisiki par le capitaine de police Nomana Adonis, pour qui le phénomène est «récent». «Nous pensons qu'il reste des centaines de jeunes filles que nous n'avons pas pu sauver», regrette-t-elle.

«Nous avons rencontré des adolescentes qui ont été mariées dès l'âge de 13 ans à des hommes âgés. Il y a de fortes chances qu'elles aient contracté des maladies comme le sida.»

Un certain nombre de «maris», parfois âgés d'une soixantaine d'années, et de parents ont été arrêtés pendant l'opération, précise la policière. «Dans la plupart des cas, les maris ont été inculpés pour enlèvement et viol. Mais pour l'instant, on n'a pas encore obtenu de condamnation.»

La coutume de l'ukuthwalwa a été complètement dévoyée, critique Peter Mtuze, universitaire à la retraite spécialisé dans les langues africaines.

Autrefois, les hommes enlevaient des femmes en âge de se marier, explique-t-il. «La fiancée était mise à l'écart jusqu'à ce qu'elle accepte la demande en mariage. Et ce n'est qu'ensuite que des messagers allaient voir ses parents pour discuter de lobola (dot).»

«Aujourd'hui, les enfants sont littéralement vendus au plus offrant. C'est de la pédophilie», s'insurge le spécialiste. «Cela n'a rien de culturel!»

Les autorités s'élèvent également contre cette pratique. «Elle fait reculer notre pays, estime ainsi Phearane Moreroa de la Commission des droits de l'Homme (HRC), un organisme gouvernemental qui tente d'informer les plus jeunes de leurs droits.

Et de promettre: «nous faisons notre possible pour y mettre un terme et protéger nos enfants.»