Le contesté imam Saïd Jaziri, expulsé du Canada vers la Tunisie en 2007, souhaite revenir au Canada pour vivre avec sa femme et leur fils. L'avocat montréalais Julius Grey a décidé de lui venir en aide.

«Je pense que le temps est venu d'aider cette famille-là», dit Me Grey. Il entend écrire sous peu au ministre fédéral de l'Immigration, Jason Kenney, pour lui demander d'autoriser le retour de M. Jaziri.

 

«Ça se fait très souvent, ce type d'autorisation à la suite d'une expulsion. Ça n'a rien d'exceptionnel», a dit lundi le respecté juriste, qui ne voit aucun facteur en mesure de justifier un éloignement prolongé de l'imam, marié à une Québécoise convertie à l'islam.

Cette dernière élève seule leur fils, né quelques semaines après l'expulsion de son père, et deux enfants issus d'un précédent mariage. Elle souffre de dépression et ne peut travailler, au dire de son mari, pour qui elle a présenté une demande de parrainage.

Les autorités avaient évoqué, à l'appui de l'expulsion, le fait que M. Jaziri a caché à son arrivée au Canada en 1997 une condamnation prononcée quelques années plus tôt en France pour complicité de coups et blessures. On lui reprochait aussi d'avoir exagéré les sévices subis dans son pays d'origine en vue de faciliter l'obtention du statut de réfugié politique.

Propos controversés

Le renvoi était survenu après que M. Jaziri eut soulevé la polémique à plusieurs reprises par des gestes et des propos provocateurs, en pleine crise sur les accommodements raisonnables. Lors d'une émission de TV5, à laquelle M. Grey lui-même participait, Saïd Jaziri avait notamment refusé que du vin soit servi en sa présence et fustigé l'homosexualité.

«Ça me choque qu'on puisse évoquer un événement relativement mineur survenu 20 ans plus tôt pour justifier la séparation d'une famille. Si ce sont en fait les opinions de M. Jaziri qui étaient la cause de son renvoi, c'est encore pire. On peut évidemment être en désaccord avec ce qu'il pense, mais il a le droit de s'exprimer», dit l'avocat.

Au moment du renvoi, La Presse avait été submergée de courriels de Québécois furieux qui disaient ne plus jamais vouloir entendre parler de lui. Une femme avait carrément souhaité qu'il se fasse couper la langue.

La province, souligne Me Grey, est traditionnellement tolérante, mais il peut arriver que l'on y assiste à des «mouvements d'opinion inattendus».

Celui ciblant M. Jaziri reflétait un malaise latent envers l'islam, juge l'avocat, qui trace un parallèle entre les fortes réactions suscitées par le dossier et la récente décision de la population suisse d'interdire, sur des bases largement symboliques, la construction de nouveaux minarets.

Dossier bloqué

Une porte-parole de Citoyenneté et Immigration Canada a indiqué hier qu'elle n'avait pas trouvé de trace de la demande de parrainage de M. Jaziri, qui a pourtant échangé des courriels à ce sujet avec l'ambassade canadienne à Paris.

Elle a précisé que les personnes expulsées du Canada pour fausse déclaration ne pouvaient normalement revenir au pays qu'après une période de deux ans, expirée dans le cas de l'imam. Et que l'existence d'un casier judiciaire compliquait le processus.

Les personnes qui ne répondent pas aux exigences minimales peuvent demander un permis de séjour temporaire, accordé au cas par cas. En 2007, environ 7500 personnes expulsées pour des crimes mineurs ont pu bénéficier d'une telle autorisation. Moins d'une quinzaine de personnes expulsées pour fausse déclaration ont été acceptées par le même mécanisme durant cette période.

C'est M. Jaziri lui-même qui a alerté La Presse du blocage de son dossier et de l'intervention de Me Grey dans l'espoir de sensibiliser l'opinion publique et les autorités canadiennes à sa situation.

«J'ai payé de ma santé, ma femme a payé de sa santé. Il faut que ça finisse maintenant, la page doit être tournée. Ce que nous vivons, c'est un drame humain», souligne-t-il en entrevue téléphonique de Tunis, où il habite dans la résidence familiale.

Dans une série de courriels, il a fourni une série de documents médicaux qui attestent de la santé précaire de sa femme et d'une de ses enfants, atteinte du syndrome de la Tourette, ainsi que des photos de son fils, dont il vient de célébrer l'anniversaire à distance par caméras interposées.

«Ma femme n'est pas en état de voyager. Et elle ne peut pas venir s'installer ici parce que le père de ses autres enfants habite au Québec», explique-t-il.

L'imam avait fait grand cas, avant d'être expulsé, de sa crainte d'être torturé par le régime tunisien. À son arrivée à Tunis, il s'en était plutôt pris au Canada, arguant que les représentants de l'Agence des services frontaliers du Canada l'avaient maltraité durant son transfert à bord d'un avion nolisé spécifiquement à cette fin. Le gouvernement avait catégoriquement rejeté ses allégations.

Le régime tunisien, régulièrement montré du doigt par les organisations de défense des droits de l'homme pour ses méthodes musclées, a évoqué à quelques reprises le retour sans heurt de l'imam au pays pour tenter de faire taire ses détracteurs. Sans véritable succès puisque les critiques continuent d'affluer, en particulier à la suite de la récente condamnation à six mois de prison du journaliste Taoufik Ben Brik.