Ses comptes bancaires sont tous gelés. Ses possessions personnelles, y compris sa bague de mariage, confisquées. Son mari est interdit de voyage. Sa soeur, apolitique, a croupi en prison pendant trois semaines. Pourtant, quand Shirin Ebadi parle des techniques d'intimidation que le gouvernement iranien déploie contre elle, elle fronce à peine les sourcils. Elle sourit même.

Première femme musulmane à recevoir le prix Nobel de la paix, l'avocate iranienne, qui a bâti sa réputation en prenant la défense des femmes et des enfants face à la justice de la République islamique, en a vu d'autres. 

Juge pendant le régime du schah, elle s'est vu enlever son poste de magistrate après la révolution iranienne de 1979. Avocate de centaines de prisonniers politiques et de leurs familles - dont celle de la photographe montréalaise Zahra Kazemi, tuée à Téhéran en 2003 -, elle connaît tout de la répression politique dans son pays natal.

«Je ne suis pas la seule à me faire persécuter. Tous les Iraniens sont traités de cette façon», soutient la sexagénaire, qui était de passage à l'Université Concordia hier pour prononcer une conférence. Selon elle, la vague de violations des droits de l'homme qui balaie l'Iran depuis l'élection présidentielle du 12 juin dernier est sans précédent par sa portée.

Le fossé se creuse

«Les troubles politiques que nous avons connus après la révolution de 1979 et dans les années 80 étaient basés sur des lignes idéologiques. Les militants pro-islamistes s'en prenaient à ceux qui s'opposaient au nouveau régime. Cette fois, les gens demandent plus de démocratie. La fissure est à l'intérieur du régime même. Les leaders de l'opposition, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karroubi, font partie du régime», expose la militante, qui note que le fossé entre les camps réformistes et conservateurs se creuse davantage de jour en jour.

«Si la répression continue, il se peut qu'il y ait une guerre civile.» Shirin Ebadi, à propos de la situation en Iran. . En ce moment, le feu couve et le gouvernement ne fait rien pour l'éteindre», estime Mme Ebadi.

Ces informations, elle les tient de ses échanges quotidiens avec ses proches et ses clients qui se trouvent en Iran. Depuis le début de la crise politique, elle n'a pas remis les pieds dans le pays qu'elle a quitté le 10 juin pour assister à une conférence à l'étranger. «On ne peut pas travailler à l'intérieur de l'Iran. Au moins, à l'extérieur, je peux porter la voix des Iraniens à la communauté internationale», dit-elle. Au cours des derniers mois, le secrétaire général des Nations unies l'a d'ailleurs reçue deux fois.

Quel remède Mme Ebadi prescrit-elle à la crise actuelle? «Des sanctions politiques», dit-elle. Selon elle, les sanctions économiques imposées par la communauté internationale en réaction aux ambitions nucléaires de l'Iran font plus mal à la population qu'aux dirigeants du pays. «Il faut empêcher les politiciens et les militaires de voyager dans le monde. Mais il ne faut pas complètement couper les liens diplomatiques avec l'Iran.»