Quand l'avion amorce sa descente vers Goma, on voit apparaître des grappes de maisons dont les toits scintillent au soleil, puis une étendue d'eau surplombée par trois volcans. C'est un décor de paradis. Mais Honorine Kabuo y a connu l'enfer.

Ça s'est passé il y a neuf ans, sur un sentier de brousse menant vers cette ville qui sert de chef-lieu à la province congolaise du Nord-Kivu. La jeune femme, son mari et leur bambin de 2 ans ont été attaqués par quatre hommes armés. Ils ont assassiné l'homme et l'enfant. Puis ils ont sauvagement agressé Honorine. Ils ont plongé un couteau dans son ventre et tailladé son cou. Et ils l'ont violée.

 

Soignée à Heal Africa, hôpital spécialisé dans les agressions sexuelles, elle a fini par découvrir qu'elle était enceinte. Et qu'elle a été contaminée par le VIH.

Dans cette province tout en lacs et en collines verdoyantes, le cas d'Honorine est, hélas, banal. Pendant les six années de guerre qui ont ravagé la région, mais aussi pendant les années qui ont suivi la fin officielle des hostilités, 36 000 femmes ont dû être soignées après avoir été violées. Et des milliers d'autres cas n'ont jamais été recensés.

De nouvelles victimes se présentent chaque jour aux portes de Heal Africa, hôpital où la gouverneure générale du Canada s'est rendue hier. Ces viols «touchent la femme dans le fin fond de son humanité», a dit une participante lors d'une table ronde avec Michaëlle Jean.

Comment expliquer cette rage contre les femmes? «La guerre a banalisé la violence, les violeurs ne sont pas poursuivis», a avancé la participante. Avant de conclure sur ce constat d'impuissance: «Je n'y comprends rien du tout.»

Les femmes violées sont marquées à vie. La plupart sont rejetées par leur mari. Et si elles se retrouvent veuves, comme Honorine, la simple idée de se remarier soulève de grands éclats de rire. C'est tout simplement inconcevable.

Mais Honorine ne désespère pas. À 35 ans, elle est mère d'une fillette de 8 ans qu'elle a appelée Ushindi. En swahili, cela signifie «victoire», nous explique-t-elle. Pourquoi ce prénom? «Parce que j'ai gagné, je suis en vie.»

Contexte volatil

Le gouvernement congolais a aussi remporté des victoires contre les rebelles depuis un an. En mars 2009, il a conclu un accord avec le principal groupe d'insurgés congolais, dont plusieurs sont en voie d'intégrer l'armée et la police. Ces nouveaux soldats ne sont pas tous des anges. Quelques factions résistantes continuent à rôder dans la région. Mais la guerre civile qui a ravagé la région du lac Kivu est officiellement terminée.

Il reste l'autre guerre, celle qui met en scène des milices étrangères qui sèment la terreur chez les civils. L'un des deux groupes, le FDLR, est dirigé par des Hutus qui ont pris part au génocide rwandais. Le LRA, originaire de l'Ouganda, est particulièrement féroce.

Pas moins de 5000 milices armées se terrent toujours dans les forêts du Congo, pillent leurs ressources minières, attaquent les villages, tuent, volent. Et violent les femmes.

Globalement, est-ce que la situation s'améliore ou se détériore?

«À long terme, elle s'améliore, mais à court terme, à certains endroits, elle se détériore», répond Christian Manahl, coordonnateur de la Mission de l'ONU au Congo (MONUC) pour la région de l'Est congolais.

La demande du président Joseph Kabila, qui réclame le départ des 20 000 casques bleus d'ici un an, se pose donc dans un contexte volatile. Même si elle compte des «unités problématiques», l'armée nationale fait des progrès, et le système de justice militaire s'améliore, fait valoir le lieutenant-colonel Robert Cormier, qui assure la liaison entre la MONUC et les forces congolaises.

Trop vite

Mais est-ce assez pour pouvoir évacuer les Casques bleus d'ici l'été 2011? «Nous avons certains doutes à ce sujet», dit Christian Manahl.

Des responsables d'ONG qui ont discuté hier avec Michaëlle Jean ne se sont pas gênés pour dire que l'échéancier d'un an est beaucoup trop optimiste. «Il y a toujours des zones de guerre où la population se sent délaissée par l'État», a dit l'un d'entre eux. «Sans la protection des Casques bleus, nous ne pourrions pas aller sur le terrain pour réaliser notre mission», a indiqué un autre.

Christian Manahl, lui, croit qu'il est normal d'envisager un départ, mais que d'ici là, la MONUC a encore pas mal de travail sur la planche. Et que pour le réaliser, elle a besoin de l'aide du Canada. «Nous avons des besoins logistiques, des besoins de transport et des besoins de renseignement», a-t-il plaidé. Au moment où le Canada envisage d'augmenter son poids au sein de la MONUC, le message est on ne peut plus clair.