Pourquoi laissons-nous partir nos enfants à l'étranger? La colère gronde en Russie, où les adoptions ont été gelées après le renvoi par avion d'un garçonnet russe par sa mère américaine, mais cette indignation occulte les graves problèmes des orphelinats russes.

Alors que les naissances sont en baisse chaque année, le nombre d'orphelins reste le même. Ils sont aujourd'hui 700 000, plus nombreux qu'à la sortie de la Seconde guerre mondiale, soulignent les défenseurs des droits de l'enfant.

Et les adoptions par les familles russes restent plutôt modestes, environ 9 000 en 2008. Pour leur part, les étrangers en ont adopté 4 125.

«Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser partir autant d'enfants!», s'exclame Pavel Astakhov, chargé du droit de l'enfant auprès du Kremlin.

L'affaire très médiatisée d'Artiom Saveliev, 8 ans, que sa mère adoptive, une infirmière américaine de 32 ans a renvoyé en avril seul par avion en Russie, a conduit Moscou à geler les adoptions d'enfants russes par des familles américaines.

M. Astakhov souligne que des accords supplémentaires doivent être signés avec d'autres pays étrangers comme la Grande-Bretagne, la France ou l'Allemagne, pour renforcer les contrôles sur les familles adoptives.

«Petit à petit, nous devons renoncer entièrement à toutes les adoptions internationales», poursuit M. Astakhov, interrogé par l'AFP. «Dans cinq à dix ans, tous les enfants russes seront adoptés en Russie».

Mais cette vision idyllique de familles russes aimantes est bien loin des réalités de l'orphelinat numéro 2, dans le sud-est de Moscou. Cela fait 20 ans que Nadejda Khrikina dirige l'établissement, mais elle ne se souvient que de trois adoptions. Car la plupart des enfants de cet orphelinat sont jugés indésirables: ils souffrent de paralysie cérébrale qui perturbe la force musculaire, la coordination des mouvements et la parole, souvent due à l'abus d'alcool ou de drogue par les parents.

La majorité des enfants placés en institution sont «des orphelins sociaux», c'est-à-dire provenant de familles en détresse sociale et rejetés par leurs parents vivants, souligne Svetlana Botcharova, militante pour les droits de l'enfant.

Dans l'orphelinat numéro 2, entre 20 et 30% seulement des enfants ont été rendus orphelins après la mort de leurs parents.

«Les meilleurs sont choisis quand ils sont bébés. Il nous reste des enfants très difficiles», raconte Mme Khrikina.

Dans une salle de l'établissement baignée de lumière, des fillettes de cinq à six ans font petit à petit des progrès.

Katia se concentre pour marcher correctement. Vika, le nez collé à son cahier, recopie des lettres. Ania prononce des mots à haute voix en jouant avec des poupées.

«Ma propre fille est parfois jalouse. Au début certains enfants ont besoin qu'on les tienne par la main toute la journée», raconte Natalia Fedotova, une éducatrice. «Ils ne savent rien faire, ni manger, ni s'habiller».

Les éducatrices n'ont aucune compassion pour l'infirmière Tory Hansen qui s'est débarrassée d'Artiom Saveliev sept mois après l'avoir adopté, expliquant dans une note qu'il était «mentalement instable».

«J'ai plein d'enfants comme ça. Ils ont tous des traumatismes. Ce rejet marque l'âme de l'enfant pour toute la vie», dit Mme Khrikina.

L'histoire du petit Artiom a touché beaucoup de Russes qui vivent comme une humiliation la vague d'adoptions d'enfants russes par des couples américains depuis la chute de l'URSS en 1991.

«Dans les années 1990 c'était nécessaire», souligne Mme Botcharova. Mais aujourd'hui «les enfants nés dans le pays doivent rester ici», conclut-elle.