«Quand le train est arrivé dans la région de Veracruz, des hommes masqués armés de machettes et de fusils ont arrêté le convoi et nous ont fait descendre du toit. Ils nous ont mis un pistolet sur la tempe et nous ont dit qu'on allait mourir. Ils nous frappaient tout le temps. Jusqu'à ce que nos familles envoient l'argent. Alors, au bout de 24 heures, ils nous ont libérés.»

Luis veut aller vivre à Acapulco. La station balnéaire de la côte pacifique mexicaine n'était pas le premier choix de ce Guatémaltèque de 26 ans en route vers une autre vie. Mais les souvenirs traumatisants de son enlèvement lors de sa première traversée du Mexique l'incitent à écourter son voyage. C'est pourquoi, arrivé à Ixtepec, petite ville du Sud et carrefour ferroviaire des trains de marchandises, il compte s'écarter de l'itinéraire que suivent habituellement ses compatriotes qui filent vers les États-Unis. Lui, il restera dans le Sud. «Continuer est trop dangereux.»

À la Casa del migrante, le refuge d'Ixtepec où les migrants viennent se reposer un jour ou deux avant de reprendre un train, l'histoire de Luis se répète à l'infini dans les récits d'autres Centro-Américains. Des histoires d'abus, d'agressions, de vols et de viols. Et dans leur narration, à un moment ou à un autre, arrive ce commentaire: «L'argent qu'ils nous ont pris, c'est la moindre des choses. C'est l'agression en elle-même, la brutalité qui laisse des marques.»

Violences sexuelles

Cette brutalité, dans tout ce qu'elle a de révoltant, est exposée méthodiquement dans le rapport sur les violations des droits des migrants centro-américains au Mexique qu'Amnistie internationale vient de publier: d'après cette organisation, 6 femmes centro-américaines sur 10 sont victimes de violence sexuelle lors de leur passage dans ce pays.

D'après les associations locales qui travaillent avec les migrants, certains passeurs exigent que les femmes prennent des contraceptifs pour éviter qu'elles ne tombent enceintes en cas de viol.

Mais la violence sexuelle ne s'exerce pas uniquement contre les femmes. Daniel, frêle adolescent guatémaltèque, avait 14 ans lorsqu'il a été kidnappé près des voies du train. Quatre hommes l'ont emmené dans une maison isolée. Un an plus tard, le récit des tortures qu'il y a subies lui brise la voix: «Pendant huit jours, ils ont abusé de moi. Chaque fois qu'un homme entrait dans la pièce, je me disais qu'il revenait me violer. Ils m'ont frappé et ils m'ont dit que si je ne donnais pas le numéro de téléphone de ma famille, ils allaient s'amuser avec moi.»

Les ravisseurs tentent de soutirer à leurs victimes les numéros de téléphone de leurs familles, car c'est la seule voie pour obtenir une rançon. En réclamant environ 2500$ par otage, les gangs criminels liés aux cartels de narcotrafiquants amassent chaque année un butin évalué à 50 millions de dollars uniquement en enlevant des migrants centro-américains.

Corruption des autorités

La Commission nationale des droits de l'homme (CNDH), qui a sonné l'alarme l'an dernier au sujet de cette industrie macabre, évalue à 20 000 le nombre d'enlèvements de migrants perpétrés chaque année au Mexique. Elle a récemment sommé les autorités d'agir pour faire cesser ce fléau et de traîner les coupables en justice.

«Mais les autorités ne font rien! Personne ne fait rien pour aider les migrants!» s'emporte le père Alejandro Solalinde, qui dirige le refuge pour migrants d'Ixtepec. Lorsqu'un Centro-Américain sans papiers est arrêté au Mexique, les services de migration se soucient peu de savoir s'il a été victime d'un délit et s'empressent de le renvoyer dans son pays d'origine.

Face à l'inaction des pouvoirs publics, l'équipe du refuge aide les migrants à porter plainte et mène ses propres enquêtes: sur la base de milliers d'entretiens menés avec des victimes d'agressions, le personnel du refuge est parvenu à créer un registre informatique d'agresseurs présumés. «Fonctionnaires publics, policiers, narcotrafiquants, machinistes du train... Ils sont tous impliqués dans le commerce des attaques de migrants, dénonce le père Solalinde. Non seulement les représentants de l'autorité ne font rien, mais en plus il faut se méfier d'eux, car ils sont aussi impliqués!»

L'expérience qu'ont vécue Marta et Evidio illustre parfaitement ces accusations. Parti du Guatemala il y a un peu plus d'un mois, le jeune couple a été victime d'une agression directe des autorités. «Notre train été pris d'assaut. On a d'abord cru que c'était une bande de kidnappeurs, car ils étaient très violents, puis on a réalisé que c'était la police fédérale. Les policiers sont montés sur le toit, ils nous ont fait descendre en nous donnant des coups de pied et nous ont jetés par terre. Ils ont brutalisé les femmes, ils les ont fouillées en les touchant sur tout le corps et en les insultant. Enfin, ils ont pris tout l'argent qu'on avait et ils ont tiré des coups de feu pour nous faire fuir.»

Malgré les cauchemars que leur réserve la traversée, malgré les avertissements que répète sans relâche le père Solalinde, l'appel du Nord est trop fort pour les migrants qui font une halte au refuge d'Ixtepec. Les États-Unis les attendent, même si certains disent préférer le Canada parce que, là-bas, «ils sont plus accueillants avec les étrangers». Grisés par les rêves qu'ils échafaudent, les Guatémaltèques, les Honduriens, les Salvadoriens et les Nicaraguayens attendent de pied ferme le départ du train suivant. Ce train, ils l'appellent pourtant «La Bestia», «La Bête». Car il ne leur attire que des ennuis.