Au lendemain de l'accident, Olena Mokhnyk et sa famille ne réalisaient pas qu'ils quittaient leur appartement pour toujours. Aujourd'hui assistante d'un député, l'élégante Kiévienne de 28 ans raconte:

La veille de l'évacuation, les instituteurs nous ont donné de l'iode pour protéger notre glande thyroïde des radiations. Je nous revois encore cracher le comprimé dans les toilettes. Nous ne pouvions pas comprendre...

Dehors, des soldats lavaient déjà les rues. Mais nous, nous jouions dans le sable, nous courions dans la forêt. Sans le savoir, nous nous enrobions de poison. Aujourd'hui, la même forêt n'existe plus: ils l'ont coupée et enterrée.

C'est la radio qui a annoncé l'évacuation. La voix a dit de prendre le strict nécessaire. Les gens étaient tellement certains de revenir que mes parents ont continué à laver nos fenêtres!

Le jour du départ, nous avons descendu les huit étages à pied. Les ascenseurs ne marchaient plus. Il a fallu attendre longtemps dehors, avec nos sacs. Mille autobus attendaient en file. On entendait les hélicoptères. Des camions rinçaient le sol constamment.

Avec mes cousins, nos parents nous ont envoyé en train chez notre grand-mère, à Karkov, très loin (à 540 km) dans l'est du pays. Mais elle a eu peur de nous et nous a aussitôt abandonnés à l'hôpital. Les médecins ont compris en sortant leur dosimètre: l'aiguille s'est bloquée au maximum. Ils sont partis en courant. Une heure plus tard, ils étaient habillés en astronautes et nous lavaient avec toutes sortes de produits. Ma peau brûlait. Ils ont fini par nous raser la tête. C'est alors qu'on est devenus des hérissons de Tchernobyl...

Les médecins ont alerté nos parents. Mais ils n'avaient plus de maison. Il a fallu les attendre dans un camp de jeunes à Odessa, au sud. Nous y sommes restés un an et demi, sans personne pour nous protéger. Les gens ne voulaient pas avoir affaire aux enfants de Tchernobyl...

L'an dernier, j'ai voulu voir ce qu'il restait de la ville où j'ai vécu. C'était surréaliste. Chez moi, il ne restait qu'un vieux divan et un tuyau de poêle. Les pilleurs ont même volé les verres dans les armoires! À l'école, il y avait des bouteilles de Coca-Cola vides, des déchets partout, de la végétation.

J'ai fouillé dans une armoire et j'ai retrouvé mon vieux cahier. La maîtresse avait corrigé notre examen de mathématiques la veille de l'accident. Je suis la seule élève à avoir jamais connu ses résultats.

Nikolai Luchinsky a fui Pripriat à 11 ans. Aujourd'hui ingénieur, il raconte son pèlerinage sur les lieux de son enfance:

Jusqu'à 18 ans, je suis resté déprimé. Je rêvais à mes anciens camarades de classe, à mes vieux amis. Longtemps, j'ai gardé dans un pot trois roubles que j'avais amassés en vendant des timbres pour l'école. Je ne voulais pas admettre que je ne pourrais jamais les rendre...

En 2002, j'ai réussi à y retourner avec des copains. Chacun montrait l'appartement de sa famille aux autres. On partageait nos souvenirs. On cherchait nos terrains de jeux, nos plages...

Au début, c'était très dur. Je n'ai même pas reconnu ma maison. Le plus choquant, c'était le vide. Il n'y a plus aucune trace de mon passage: pas le moindre signe, pas le moindre jouet. Tu sais que cet endroit est à toi, que tu y as vécu, mais personne d'autre que toi ne le croirait jamais.

Cet hiver, j'y suis retourné pour noter mon nom et mon numéro de téléphone sur le tableau de mon ancienne école. J'espère que mes camarades de classe perdus demanderont aussi à aller là-bas un jour. J'espère qu'ils chercheront l'école et trouveront mon numéro.

Peut-être avec le 20e anniversaire... Pour l'instant, non, personne ne m'a encore appelé.

EN CHIFFRES

5% de l'Ukraine a été condamnée par l'explosion, soit 70 villages et deux villes.

23 % de la Biélorussie a connu le même sort, soit 485 villages, dont 70 enterrés pour toujours.

135 000 Biélorusses et 250 000 Ukrainiens ont été évacués après la catastrophe.