«Pourquoi?»

Le père Moses Zerai jure qu'il répétera la question, encore et encore, jusqu'à ce qu'il obtienne une réponse.

«Pourquoi personne ne les a sauvés?»

Ils étaient 72 à bord du bateau qui a quitté le port de Tripoli, le 25 mars, pour l'île italienne de Lampedusa. Ils ne se sont jamais rendus.

Après avoir dérivé pendant 16 jours en mer Méditerranée, le bateau en panne s'est plutôt échoué sur les côtes libyennes, avec seulement 11 survivants à son bord.

Les autres sont morts de faim et de soif, abandonnés par des militaires européens qui les ont carrément laissés mourir un à un sur leur rafiot, selon une enquête du quotidien britannique The Guardian.

Dernier appel

Le père Moses Zerai est l'un des derniers à avoir été en contact avec le capitaine, avant que la batterie de son téléphone satellite ne s'éteigne. Établi à Rome, ce prêtre catholique originaire de l'Érythrée est considéré comme le berger des migrants africains en Europe. Il se bat pour leurs droits depuis des années.

«Quand ils m'ont joint, j'ai appelé les gardes-côtes italiens. Peu après, des militaires ont survolé le bateau en hélicoptère et ont lancé des bouteilles d'eau et des paquets de biscuits aux passagers. Ils sont partis en leur assurant que des sauveteurs seraient bientôt là. Mais personne n'est revenu», raconte le père Zerai en entrevue téléphonique.

Après cinq jours de dérive et de détresse, le bateau est passé près d'un porte-avions. Deux jets en ont décollé pour survoler le bateau à basse altitude. Sur le pont, deux femmes brandissaient leurs bébés affamés. Mais les militaires n'ont rien fait pour leur venir en aide. Le bateau a continué à dériver.

Alors, les passagers ont commencé à mourir, les uns après les autres.

Des morts, encore des morts

«Tous les matins, on se réveillait pour trouver de nouveaux cadavres, qu'on gardait 24 heures avant de les jeter par-dessus bord, a raconté l'un des survivants, Abu Kurke, au Guardian. «Les derniers jours, on ne savait plus qui on était... soit on priait, soit on mourait.»

Au bout de 10 jours, presque tous les passagers étaient morts, selon M. Kurke. «On avait gardé une bouteille d'eau de l'hélicoptère pour les deux bébés. On a continué à les nourrir après la mort de leurs parents. Mais après deux jours, les bébés sont morts aussi - ils étaient si petits...»

Droit international

«La loi internationale du transport maritime est claire: si un bateau éprouve des difficultés en mer, il est obligatoire de l'aider», souligne le père Zerai.

L'OTAN a démenti avoir refusé de secourir les migrants. La marine française a aussi soutenu que son porte-avions Charles-de-Gaulle, dont le Guardian dit qu'il s'agit probablement de celui que le bateau a croisé en mer, ne se trouvait pas dans le secteur à ce moment-là. Et l'hélicoptère? Mystère.

«Les militaires étaient-ils italiens, français, britanniques? Je ne sais pas, dit le père Zerai. L'OTAN nie, d'accord. Alors qui?»

Le bateau s'est échoué le 10 avril près de la ville assiégée de Misrata. Les 11 survivants ont été arrêtés et emprisonnés pendant quatre jours. Deux rescapés n'ont pas survécu aux geôles de Kadhafi. Aujourd'hui, ceux qui restent se cachent à Tripoli. Prêts à embarquer dans le prochain bateau pour l'Europe.