Le tiers des aliments produits chaque année dans le monde - soit 1,3 milliard de tonnes - est gaspillé, selon un rapport publié hier par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Les Nord-Américains sont les champions de ce gaspillage: ils jettent 115 kg de nourriture par an, par personne. En Afrique subsaharienne, ce chiffre tombe à 6 kg.

Au Canada, 38% de ce que les consommateurs achètent est gaspillé, selon une étude de l'Université de Guelph. «Cela exclut la restauration, a dit à La Presse Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politiques alimentaires à Guelph. On estime qu'environ 5 millions de tonnes d'aliments toujours sains sont gaspillées par an.»

Si les pays en développement essuient beaucoup de pertes lors de la production, les pays industriels gaspillent en jetant à la poubelle «des aliments parfaitement comestibles», dénonce la FAO. Exemple: les supermarchés Asda, en Grande-Bretagne, éliminent de 25% à 30% des carottes parce qu'elles ont un défaut esthétique, notamment une courbure. «Les consommateurs doivent pouvoir les peler d'un geste facile», a expliqué un employé de ferme cité dans le rapport.

En Amérique du Nord et en Océanie, environ 20% de la viande se perd entre le champ et l'assiette, calcule la FAO. C'est le cas de 35% des céréales, de 50% des fruits et légumes, de 50% des poissons et fruits de mer et de 60% des racines et tubercules.

Abolir la date de péremption?

L'industrie agroalimentaire est responsable d'une part du gaspillage, selon M. Charlebois. Elle met des dates de péremption hâtives afin de se protéger contre les poursuites, ce qui envoie au rebut des aliments encore sains. «La technologie pourrait aider: il existe des étiquettes qui changent de couleur quand les aliments contiennent trop de bactéries», a-t-il indiqué.

La Grande-Bretagne est d'ailleurs en train de revoir l'obligation de mettre une date de péremption sur tous les produits, afin de réduire le gaspillage. D'autres changements simples pourraient être faits, comme mieux assortir le nombre de saucisses et de pains à hot-dogs vendus en épicerie!

«J'ai tendance à blâmer le consommateur - moi le premier, a commenté Pascal Thériault, agroéconomiste à McGill. À l'épicerie, on n'est pas porté à prendre une pomme un peu abîmée. Une bonne partie du gaspillage est causée par le fait que le consommateur n'est pas conscient de l'importance des aliments.»

Contre les deux pour un

Or, «les pertes et le gaspillage alimentaires entraînent la dilapidation des ressources, notamment l'eau, la terre, l'énergie, le travail et le capital», fait valoir la FAO. Des solutions sont proposées: favoriser la vente directe des produits de la ferme, pousser les détaillants à donner les invendus acceptables à des organismes caritatifs et changer les habitudes des consommateurs. Par exemple, on achète souvent trop en raison de promotions du genre «deux pour un» ou par manque de planification, selon l'agence onusienne.

«Depuis des décennies, ont met l'accent sur la production alimentaire, a observé M. Charlebois. Par la force des choses, le débat public devra désormais porter sur le gaspillage.»