Le bilan chinois en matière de droits de l'homme est «déplorable», a lancé cette semaine la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton, des allégations aussitôt rejetées par Pékin. Pour faire le point sur ce nouvel accrochage diplomatique et sur l'intensification de la répression en Chine, nous avons discuté avec deux sinologues: David Ownby, professeur à l'Université de Montréal, et André Laliberté, professeur à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa.

Q. Quelle est cette vague de répression que dénonce Washington?

R. «Déjà, pour les Jeux olympiques de 2008, on a contrôlé de près des gens considérés comme suspects, dit David Ownby. Ce qui est un peu ironique, puisqu'on a dit qu'on avait accordé les Jeux à Pékin pour que s'améliorent les droits... Mais plus récemment, c'est tout ce qui s'est passé au Moyen-Orient qui incite le régime chinois à surveiller de très près ce qui se passe. Personne n'aurait pu prévoir ce qui s'est passé en Égypte, alors la Chine ne veut pas que ça arrive chez elle.»

Q. Qui a fait les frais de cette répression?

R. Des avocats, des juristes, des artistes. «Il y a des gens qui ont toujours été considérés comme critiques du régime qu'on laissait quand même s'exprimer, dit André Laliberté. Mais il y a eu un resserrement. On a notamment empêché des gens d'aller à l'étranger.»

Q. Y a-t-il eu des signes de récupération en Chine de la révolte du printemps arabe?

R. «C'était tout petit, dit David Ownby. Quelques dissidents ont tenté d'organiser un mouvement via l'équivalent de Facebook et Twitter, mais la police est intervenue rapidement.» «Cette crainte des autorités chinoises d'une contagion de la révolution est exagérée, ajoute André Laliberté. Il y a quand même beaucoup de Chinois qui sont relativement satisfaits de leurs conditions de vie.»

Q. Considérez-vous que la Chine, comme elle le prétend, a fait des «progrès historiques» en matière de droits de l'homme?

R. «La Chine est le pays qui compte le plus grand nombre d'exécutions, rappelle André Laliberté. La Chine a signé des traités internationaux, elle veut faire partie des Nations unies comme une grande puissance respectée, elle doit s'engager à respecter des droits qui sont fondamentaux. Ce n'est pas négociable.» David Ownby précise: «Quand la Chine parle des droits de l'homme, elle parle surtout des droits économiques. Là, les progrès ont en effet été énormes. Et à part les dissidents, ceux qui manifestent pour des changements politiques, la vie en Chine est plus libre qu'il y a 20 ans.»

Q. L'artiste Ai Weiwei, concepteur du stade Nid d'oiseau à Pékin et critique acerbe du régime chinois, a été arrêté le 3 avril et reste introuvable. Comment son arrestation est-elle reçue en Chine?

R. «Ai Weiwei est assez peu connu en Chine, en dehors des cercles artistiques, dit David Ownby. Son arrestation n'a pas fait les manchettes. C'est d'ailleurs l'objectif du Parti: Ai Weiwei n'est pas dangereux en soi, c'est un artiste avec une belle gueule. Mais la Chine veut à tout prix éviter qu'un leader avec un message arrive à rejoindre une population mécontente.»

«La Chine sait qu'Ai Weiwei est une personnalité d'envergure internationale, ajoute André Laliberté. Son arrestation envoie quand même le message que la Chine se fiche de l'opinion internationale. C'est une attitude préoccupante. [...] D'ailleurs, en vertu de la loi chinoise, les autorités devraient maintenant porter des accusations contre lui, ce qu'elles ne font pas. Le gouvernement chinois viole ses propres lois.»

Q.Pourquoi les États-Unis font-ils ce genre de déclaration en ce moment?

R. «Les États-Unis ne peuvent rompre avec Pékin, mais ne peuvent non plus fermer les yeux, dit André Laliberté. Il y a des inquiétudes quant à la transition au Parti communiste en 2012. C'est clair qu'il y a eu un durcissement du régime dans les derniers mois.