Après cinq mois de négociations, le Liban a depuis hier un nouveau gouvernement, mené par le Hezbollah et ses alliés. Un député - le druze Talal Arslane - a présenté sa démission sur-le-champ pour cause de divergences avec le nouveau premier ministre, Najib Mikati. Cette première journée est-elle annonciatrice de ce qui suivra? Entrevue avec le politologue Sami Aoun, spécialiste du Proche-Orient.

Q: Peut-on espérer un peu de stabilité pour ce gouvernement?

R: Disons que la démission de Talal Arslane, figure bien connue de la communauté druze, démontre que la formation de ce gouvernement a été un accouchement au forceps. Évidemment, le fait qu'il y ait maintenant un gouvernement aidera à la gestion quotidienne des affaires de l'État, mais la stabilité de ce gouvernement est toute relative. Peut-être ne sera-t-il pas renversé par le Parlement, mais il y a de fortes chances pour que la population sunnite, fortement aliénée par ce cabinet, oblige le premier ministre à calmer ses ardeurs et à éviter de se prononcer sur les sujets controversés. Ce qui est sûr, c'est que ce gouvernement a des handicaps congénitaux.

Q: Pourquoi a-t-il fallu cinq mois pour former ce gouvernement?

R: Najib Mikati a été désigné premier ministre le jour même où les troubles ont éclaté en Égypte. Sans doute voulait-il attendre de voir quels changements allaient survenir dans ce pays pour ne pas mettre en place un gouvernement qui aurait pu être perçu comme une provocation pour l'Égypte, ou encore pour l'Arabie Saoudite. Puis, la situation a explosé en Syrie, dont Najib Mikati est très proche. Homme d'affaires, Najib Mikati a notamment des activités commerciales en Syrie et de façon générale, ce gouvernement est en plein dans la zone d'influence syrienne. Officiellement, cependant, la position de Mikati sera celle de l'équilibriste: il ne pourra pas montrer un appui total au président al-Assad, pas plus qu'il ne peut manifester de réelle autonomie par rapport à lui.

Q: Ce qui se passera en Syrie sera donc lourd de conséquences pour le Liban?

R: La stabilité de ce gouvernement sera nécessairement tributaire du bras de fer qui se joue entre la Syrie et la Turquie, et entre la Syrie et la communauté internationale - les États-Unis et l'Europe en tête.

Q: Des accusations devraient tomber sous peu dans l'enquête du tribunal spécial de l'ONU sur l'assassinat de l'ancien premier ministre Rafic Hariri, survenu le 14 février 2005. Le Hezbollah s'attend à ce que certains de ses membres soient accusés. Quel impact pour le gouvernement libanais dominé par le Hezbollah?

R: Justement, si le gouvernement a été formé au moment où il a été formé, c'est que la rumeur voulait que les accusations soient portées vers la fin de juin. Les accusations ne frapperont pas des ministres libanais, mais des membres actifs du Hezbollah, ce qui éclaboussera le gouvernement en place. Sans doute le premier ministre a-t-il calculé qu'il était préférable que le gouvernement soit déjà formé quand cela surviendra. Najib Mikati a déjà dit qu'il ne désavouerait pas le tribunal, et son ministre de la Justice, ancien bâtonnier du Liban, a la réputation d'être un homme honnête. Il n'est pas impossible pour autant qu'il décide de contester les accusations du tribunal.

Q: Quelles seront les prochaines étapes?

R: Dans deux ou trois mois, le nouveau gouvernement devra se soumettre à un vote de confiance. Avec le député druze qui est parti, la majorité est aujourd'hui très faible, mais elle devrait tenir.

Q: En un mot, comment qualifier ce nouveau gouvernement?

R: Ce n'est surtout pas un gouvernement de réconciliation nationale, et il ne représente pas du tout l'ensemble du spectre libanais. Ce sera un gouvernement d'affrontement, aussi bien à l'interne que sur la scène internationale. Il entre en action alors que l'on est en attente de développements en Syrie et dans d'autres pays. On peut être assuré qu'à l'ONU, quand sera présentée une résolution sur la Syrie, le vote du Liban sera favorable à ce pays, tout comme il se montrera très favorable au point de vue iranien.