La population de la Chine a augmenté deux fois moins vite dans la dernière décennie que dans les années 90. Cela signifie que le bassin de travailleurs commencera à décliner dès 2015. Ces données du dernier recensement chinois, dévoilées ce printemps, ont relancé le débat sur la capacité de l'empire du Milieu de supplanter les États-Unis sur les plans stratégique et économique.

«La population en Chine a vieilli plus rapidement que dans n'importe quel pays du monde», explique Nick Eberstadt, économiste et démographe de l'American Enterprise Institute, qui s'intéresse depuis 10 ans à la démographie chinoise. «Le Japon, la Corée du Sud et les États-Unis étaient trois fois plus riches quand ils ont atteint une proportion semblable de personnes âgées. Ça pose un problème de liquidités pour soutenir les personnes qui ne parviennent plus à travailler. Et comme la croissance chinoise est au moins au quart dû à l'augmentation phénoménale du nombre de jeunes travailleurs, on peut s'attendre à ce qu'elle diminue à partir des années 2030 ou même 2020.»

Une croissance de 8%

Au bureau de la banque suisse UBS à Hong Kong, l'analyste Wang Tao confirme que la fin du «dividende démographique» (l'arrivée de nombreux travailleurs qui n'ont pas eu à s'occuper de plusieurs enfants à cause de la politique de l'enfant unique) va affaiblir la croissance. «La croissance va passer de 10% à 8%, peut-être même 6% ou 7% d'ici à la fin de la décennie, dit Mme Tao, et elle va continuer à décliner par la suite.»

L'opinion de Mme Tao est importante parce que son prédécesseur à l'UBS, Jonathan Anderson, a été l'un des principaux opposants à la thèse de l'affaiblissement relatif de la Chine au XXIe siècle. Selon l'hebdomadaire Nanfang Zhoumo, publié à Canton, le récent recensement chinois laisse entrevoir que la population atteindra 1,4 milliard d'habitants en 2020, après quoi elle commencera à décliner lentement. Elle s'élèverait donc à 750 millions de Chinois en 2100 au lieu des 4 milliards que l'on projetait au milieu des années 70, ce qui avait mené à la politique de l'enfant unique.

«Pour savoir ce qui attend la Chine, regardez le Japon», dit Jong Cai, démographe de l'Université de Caroline-du-Nord, qui a écrit plusieurs études sur le sujet. «Il n'y a presque pas de croissance depuis 20 ans. On n'en est pas encore là parce que la Chine a le luxe de ne pas investir beaucoup dans les services aux personnes âgées. Mais le modèle économique est basé sur le travail acharné des jeunes. Je ne crois pas qu'on réussira à les remplacer par des travailleurs plus âgés de l'intérieur de la Chine. Aux États-Unis, même si le taux de chômage est élevé, il y a toujours des Mexicains qui viennent travailler aux champs. Les Américains préfèrent être au chômage plutôt que de prendre ces emplois mal payés. On a en Chine un alignement structurel similaire: les entreprises ont besoin de jeunes qui acceptent d'être sous-payés, pas de vieux moins instruits et incapables de faire des journées de 15 heures à l'usine.»

Le retrait de la politique de l'enfant unique peut-il renverser la vapeur? «Dans certaines provinces, on a donné à certains couples la possibilité d'avoir plus d'enfants, mais le taux de fertilité n'a presque pas bougé, dit M. Eberstadt. Dans les villes, les femmes n'ont qu'un enfant, en moyenne. Comme la Chine s'urbanise à un rythme effréné, la fertilité continuerait à baisser même sans la politique de l'enfant unique.» En 2010, le taux de fertilité en Chine était de 1,2 enfant par femme. Les démographes estiment qu'il est au maximum de 1,4 à 1,6 si on tient compte des enfants non déclarés à cause des pénalités auxquelles s'exposent les couples qui en ont plus d'un, selon M. Eberstadt.

Au rythme actuel, le PNB de la Chine pourrait dépasser celui des États-Unis dès 2025. Mais si les prévisions de Mme Tao s'avèrent, cela pourrait ne se produire qu'en 2040 au plus tôt. «On entend souvent dire que le XXIe siècle sera chinois, dit Matt Gerken, spécialiste de la Chine au groupe de consultation stratégique américain Stratfor, mais on voit déjà de l'agitation sociale à cause des changements démographiques. Les salaires montent en flèche. Si la Chine ne parvient pas à réorienter son activité économique vers la demande intérieure, notamment dans les services, la croissance sera bien insuffisante pour répondre aux aspirations des plus jeunes et payer les retraites des plus vieux. Les investissements militaires vont plafonner, et les inquiétudes vont s'avérer ridicules. Et contrairement au Japon, où l'agitation due à la stagnation est minime, la Chine n'est pas un pays homogène où les gens sont solidaires. Les tensions ethniques et régionales seront importantes.»

Dette publique sous-estimée

À l'appui de sa thèse, Matt Gerken cite certains économistes comme Victor Shih, de l'Université Northwestern à Chicago, qui avance que la dette publique chinoise est quatre ou cinq fois plus élevée que l'évaluation du Fonds monétaire international - elle frise les 100% du PNB, parce que des milliers d'entités municipales sont omises du calcul. «Et ça ne tient pas compte du sous-financement des retraites, qui est abyssal comparé aux pays occidentaux, dit M. Gerken. Les jeunes ne contribuent pas au régime public parce qu'ils ne croient pas qu'il restera de l'argent dans la caisse quand ils seront vieux. La seule manière dont la Chine peut s'en sortir, c'est de confiner les vieux à la misère. Les jeunes s'enrichiront, mais les vieux resteront pauvres. Leur seul espoir sera de s'occuper de leur unique petit-enfant à la campagne pendant que ses parents travaillent en ville, et d'être dédommagés pour le gardiennage.»

L'économiste Wang Tao est plus optimiste: elle estime que le réservoir de main-d'oeuvre agricole prendra le relais des jeunes travailleurs. La dette chinoise, selon elle, n'est qu'à 60% du PNB. «Le modèle économique actuel est le résultat d'un extrême surplus de main-d'oeuvre, dit-elle. Cet extrême n'est pas essentiel pour la croissance à long terme du pays. On voit déjà proliférer des industries lourdes à l'intérieur, là où la population active est sous-utilisée.»

Chine

Population totale en 2010: 1,3 milliard d'habitants

Proportion de gens âgés de 15 à 24 ans en 2010: 16%

Plus de 65 ans en 2010: 9%

Population totale en 2030: 1,2 milliard

Proportion de gens âgés de 15 à 24 ans en 2030: 8%

Plus de 65 ans en 2030: 18%

États-Unis

Population totale en 2010: 309 millions d'habitants

Proportion de gens âgés de 15 à 24 ans en 2010: 10%

Plus de 65 ans en 2010: 13%

Population totale en 2030: 365 millions

Proportion de gens âgés de 15 à 24 ans en 2030: 13%

Plus de 65 ans en 2030: 20%

SOURCES: BBC, ONU, The Economist, USCB, AEI